Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Premier

/485/ Latino →

XXVI.

Du moine Gimon; avec quelle vaillance il combattait les ennemis de sainte Foy.

Ajoutons encore quelques récits à la série de ces miracles que les habitants du bourg, dans leur langage rustique, appellent les badinages de sainte Foy. Ce que nous allons raconter va paraître plus incroyable encore que ce qui précède; et cependant, chose surprenante, rien, dans les fastes de la vie des saints, n’est plus véritable que ceci. Je n’ignore nullement que ceux d’entre mes lecteurs qui sont malveillants révoqueront en douté ce récit, ne le trouvant pas assez certain. Pour eux il n’est rien qui ne puisse être trouvé en défaut, grâce à leurs interprétations malignes. Mais, lorsqu’il s’agit de publier la vérité reconnue, il n’est pas moins criminel de rechercher l’adulation des amis que de reculer devant les attaques des ennemis. Loin donc de tout fidèle la pensée que moi, chrétien, gagné par les faveurs ou effrayé par les menaces, je pourrais altérer la vérité en exagérant ou en diminuant! Pourrais-je, sans détriment pour mon salut, outrager la parole de Dieu en y mêlant l’alliage du mensonge, ou bien tromper les âmes en leur présentant l’erreur sous les couleurs de la vérité?

/486/ Les gestes merveilleux et, je crois, inouïs, que je vais décrire, du moine Gimon, prieur du monastère, m’ont été racontés par une multitude de personnes qui l’ont connu. Ce moine, en revêtant l’habit religieux, ne pouvant dépouiller la fougue guerrière dont il avait été possédé dans le monde, la tourna contre les malfaiteurs. Au dortoir, à côté de ses vêtements monastiques, il avait suspendu au chevet de son lit sa cuirasse, son casque, sa lance, son épée et toute son armure toujours prête. Il avait aussi dans l’écurie un coursier de combat tout équipé. Lorsqu’il y avait à réprimer quelque attaque, quelque pillage des malfaiteurs, il se chargeait lui-même de ce devoir. Il conduisait ses hommes d’armes au combat, les précédait, et enflammait vivement le courage des pusillanimes en faisant briller à leurs yeux la récompense du triomphe ou la gloire du martyre. Il assurait qu’il importait bien plus de combattre les mauvais chrétiens, qui attaquaient la loi divine et avaient abandonné sciemment leur Dieu, que les païens qui n’avaient jamais connu le vrai Dieu. Il ajoutait que celui qui veut se rendre digne du commandement doit ne pas céder à la lâcheté et, si la nécessité l’exige, ne pas reculer devant l’obligation de réprimer vaillamment les agressions des scélérats, de crainte que le prétexte de la patience ne couvre le vice de la pusillanimité.

Un grand nombre de malfaiteurs tremblaient à son approche et prenaient souvent la fuite avant le combat. Quelquefois, enhardis par leur nombre, ils opposaient résistance; mais alors éclatait visiblement l’intervention de sainte Foy; ils étaient mis en déroute par des forces moins nombreuses. Si parfois, ce qui était rare, la multitude des agresseurs était telle que, se défiant de sa faiblesse, la troupe peu nombreuse des défenseurs n’eût pas l’audace de les combattre, alors le moine se rendait, avec sa confiance absolue et accoutumée, au pied du tombeau de la sainte martyre et adressait à celle-ci les représentations les plus familières, avec une assurance qui, d’après son expérience, n’avait jamais été trompée. Il allait jusqu’à menacer sainte Foy de frapper sa statue ou de la précipiter dans la rivière ou dans un puits, si elle ne châtiait au plus tôt les criminels agresseurs. Ce pieux emportement ne l’empêchait pas d’adresser à la sainte les supplications les plus humbles et les plus pressantes. J’estime que c’est Dieu lui-même qui lui avait inspiré cette forme naïve de prière; du moins il excusait ce que celle-ci avait d’étrange et de menaçant, car elle venait d’un cœur droit et pur. Dieu ne juge pas l’homme sur la forme de ses paroles, mais sur ses intentions et ses œuvres. Les bonnes paroles ne justifient pas l’hypocrite; de même les paroles rudes ne condamnent pas le juste. Cette maxime s’accorde avec celle que nous lisons dans l’Evangile, au sujet du père qui avait donné un ordre à ses deux enfants. Le premier avait accueilli ce commandement avec des paroles d’humble soumission; mais sa conduite ayant démenti ses paroles, le père ne le récompensa point. Le second répondit d’abord par des paroles de révolte, puis, se ravisant, il s’empressa d’exécuter l’ordre paternel; celui-ci fut récompensé. Et le Seigneur lui-même, voulant confondre la feinté douceur, ajoute: « Ce n’est pas celui qui se borne à me dire: Seigneur, Seigneur! qui entrera dans le roj’aume des cieux; c’est celui qui exécute la volonté de mon Père (1) ». J’estime donc qu’il ne faut point condamner Gimon pour la forme rude de sa prière; car ce moine, comme on nous l’a appris, était irréprochable dans toutes ses œuvres.

Il est vrai qu’il portait les armes dans des expéditions militaires. Mais, si l’on veut bien interpréter, l’on comprendra que, par cette pratique, loin de violer la /487/ régularité monastique, il la relevait vigoureusement. On ne doit le juger que sur l’intention qui l’animait. Et plût à Dieu que le moine tiède et négligent, secouant enfin sa lâcheté, se portât à une activité aussi vaillante pour le bien de son monastère, au lieu de trahir la sainteté de sa livrée par les iniquités cachées de son coeur! On voit aujourd’hui, en effet, de nombreux antéchrists qui semblent n’avoir d’autre objectif, dans leur vie, que de contredire toute vérité et de s’opposer à tout bien, de piller les biens des saints, de fouler aux pieds les censures des pontifes, de ne faire aucun cas des droits des monastères et de railler insolemment, par une impudence digne des Philistins, la milice du Dieu vivant. Et si la toute-puissance vengeresse suscite, de quelque côté que ce soit, l’un de ses serviteurs et arme son bras pour châtier et mettre à mort quelques-uns de ces agresseurs, faudra-t-il en faire un crime à ce dernier? Ne lisons-nous pas que l’apostasie du césar Julien fut châtiée par le martyr saint Mercure, dejà mort, qui perça cet empereur de sa lance (1)? Celui qui a ressuscité ce saint, pour châtier son ennemi, a bien pu armer notre moine pour la défense de son Église. Dieu, qui s’est servi d’un homme mort pour une telle mission, ne peut-il pas se servir d’un homme vivant pour le même ministère? Et s’il est arrivé à Gimon de mettre à mort quelque mécréant, j’estime que l’on doit lui imposer la même pénitence qu’à David pour avoir tué le philistin.

Non, ce n’est pas un véritable homicide celui que le Seigneur des armées et le roi de la valeur, militaire a suscité pour être comme l’ange protecteur de sa famille. Et de même que le prophète ne peut prédire que ce que Dieu lui niet dans la bouche, de même notre moine n’a pu exécuter d’autres exploits que ceux que l’Esprit de force a inspirés à son cœur. Ce champion, ce défenseur de tout bien a montré un zèle éclairé pour la gloire de Dieu et une juste indignation contre les fils de Bélial. Et nul ne peut révoquer en doute que sa vaillante mission n’ait été agréable aux yeux de Dieu. Car lorsque le parti de ses impies agresseurs était trop considérable et trop puissant, aussitôt, comme nous l’avons dit, il avait recours à l’arme ordinaire de la prière, et ses mérites lui obtenaient d’être exaucé de Dieu. Tantôt par ses vives représentations, tantôt par ses humbles supplications, il arrachait au ciel son assistance, et ce qu’il ne pouvait par la force des armes il l’obtenait par la puissance de Dieu. C’est ainsi qu’un grand nombre de ces malfaiteurs périrent misérablement sous les coups variés de la vengeance divine, les uns précipités du haut des rochers, les autres étouffés en mangeant, d’autres saisis d’une fureur dans laquelle ils se donnaient eux-mêmes la mort. Quand l’heure du châtiment avait sonné pour eux, la mort se présentait à eux sous les formes les plus diverses.

Gimon n’était pas seulement chargé de diriger les moines et de veiller à l’observation de la règle, il était encore gardien du sanctuaire. A cette époque, ce lieu de l’église était presque solitaire et privé de l’affluence des pèlerins (2); il n’était pas illuminé avec autant d’éclat que de nos jours; une seule lampe veillait devant le saint autel. Mais, comme il s’éteignait souvent, le moine gardien, selon la coutume, se levait et le rallumait. Et lorsque Gimon, accablé de lassitude par le travail, ou /488/ assoupi par ses oraisons prolongées, était vaincu par le sommeil, il sentait une main qui touchait légèrement sa joue, et il entendait une douce voix qui l’avertissait de rallumer la veilleuse. Réveillé par cette intervention, il se levait vivement, s’approchait du luminaire, et, le trouvant éteint, au moment où il avançait la main pour lé saisir, il le voyait tout à coup rallumé par une main divine. Souvent aussi, la lampe éteinte ne s’étant pas rallumée de la sorte, il la portait auprès des charbons ardents, et, dans le trajet, elle se rallumait merveilleusement dans sa main. Il revenait à sa couche; mais à peine avait-il goûté un peu de repos, que la même apparition se renouvelant, comme par jeu, jusqu’à trois et quatre fois, le réveillait, le forçait de se lever malgré ses gémissements, et de revenir auprès du luminaire. A la fin, bouillant d’impatience, le vieillard, d’un naturel ardent, éclatait en vives récriminations contre sainte Foy, et lui reprochait de se jouer de lui et de le harceler sans raison; il exhalait son naïf emportement dans l’idiome de son pays natal. Ayant ainsi mis un terme aux miracles, il revenait à sa couche, ou bien, le plus souvent, il profitait de l’occasion pour se livrer à la psalmodie et à l’oraison, et veillait ainsi tout le reste de la nuit.

Du reste, il s’exerçait avec tant de constance à la méditation, qu’il y employait souvent tout le jour et toute la nuit, et qu’on l’entendait murmurant sans cesse quelque prière. Quelquefois, lorsqu’il exerçait, la nuit, les fonctions de gardien dans l’église, il entendait résonner le métal de la statue d’or. Docile à cet avertissement du ciel, il s’empressait de rallumer là lampe de la manière que j’ai dejà raconté. C’était pour lui comme une faveur habituelle, et plus fréquente que pour tout autre, de jouir, en diverses manières, des entretiens et des avertissements divins. On ne s’étonnait pas qu’il fût trouvé digne de ces douceurs, car rien d’impur ne pouvait trouver accès ni dans son corps ni dans son âme. Toujours prêt à tous les travaux pour le bien de ses frères, il ne se laissait surpasser par personne dans la pratique de la vertu d’obéissance. Quant à la vivacité et à l’ardeur de sqn tempérament, il se conformait à ce précepte: Faites éclater votre indignation, mais gardez-vous de pécher (1). Le trait suivant fera apprécier l’éminence de sa vertu: il exerçait un tel ascendant non seulement sur les autres frères, mais encore sur l’abbé lui-même, qu’il les rangeait tous sous le joug d’une parfaite discipline, non par l’effet de sa science ou de ses discours, mais par la force de ses exemples.

[Nota a pag. 486]

(1) S. Math. VII, 21. Torna al testo ↑

[Note a pag. 487]

(1) Saint Mercure, officier de l’armée, martyrisé à Césarée en Cappadoce, l’an 250. Saint Basile, dans une vision, l’an 363, entendit Jésus-Christ donner à saint Mercure l’ordre de frapper de mort l’empereur Julien. Celui-ci prit une lance et exécuta ce commandement. – Au sujet de cette version de la mort de Julien l’Apostat, voir saint Jean Damascène (De sacris imag. orat. I) et Baronius qui la discute longuement (Annal. an. 363). Torna al testo ↑

(2) D’après un passage du chap. ii du livre II, Gimon vivait avant la guérison miraculeuse de Guibert, c’est-à-dire avant l’an 980, et à cette époque les pèlerins n’affluaient pas encore à Conques. Torna al testo ↑

[Nota a pag. 488]

(1) Ps. iv, 5. Torna al testo ↑