Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Deuxième

/515/ Latino →

VII.

De celui que sainte Foy guérit merveilleusement d’un coup d’épée.

L’année mille et vingtième de l’Incarnation de Notre-Seigneur, indiction troisième, je me rendis à Conques pour la troisième fois, attiré par mon affection pour sainte Foy et aussi par le désir de revoir Guibert l’Illuminé. Je ne le retrouvai plus de ce monde et j’en éprouvai une profonde douleur, bien que, j’en ai la douce confiance, il ait en partage le bonheur des élus dans la terre des vivants, après que le Seigneur l’avait illustré par un prodige si éclatant. Ils ne sauraient désespérer de son salut ceux qui l’ont assisté dans ses derniers moments et ont été témoins de l’ardeur de sa foi et du calme de sa fin, qui néanmoins ne fut nullement imprévue, car, dit-on, il en avait pressenti l’heure, sans même qu’il en eût été averti par la douleur et la maladie. Après avoir célébré les solennités, je me disposais à m’en retourner, lorsque les religieux firent auprès de moi les instances les plus pressantes et me supplièrent d’ajouter un troisième livre au récit des miracles de sainte Foy. J’opposai d’abord un refus obstiné et je protestai que c’était superflu, et qu’il leur serait impossible de me produire des miracles plus éclatants que les premiers ou même d’en trouver de pareils. Ils insistèrent alors sur la nécessité de cette œuvre et, pour me gagner à leur cause, ils m’assurèrent qu’ils connaissaient un prodige sans pareil dans les fastes sacrés, comme j’en jugerais moi-même. Cédant à une ardente curiosité, je demandai que l’on me fît ce récit. Ils me racontèrent alors que le sanctuaire de Sainte-Foy avait été visité naguère par un clerc de l’Auvergne, nommé Pierre, d’une très illustre naissance et d’un rang des plus élevés. Ils lui montrèrent le nouveau petit volume de notre premier travail et lui en firent connaître l’auteur. Alors il exprima les regrets les plus vifs de ne s’être pas trouvé ici à mon passage ou bien de ce que je ne m’étais pas détourné de mon chemin pour me rendre moi-même dans son pays. Et voici le merveilleux prodige dont il fit le récit et qu’il faut placer au rang des plus éclatants.

Un chevalier, son vassal, nommé Raymond, du bourg de Valières (1) – nom muni d’une terminaison de pluriel – commandant à cinquante hommes d’armes, réprimait un jour une émeute, lorsqu’il fut atteint d’un furieux coup d’épée d’une violence telle qu’il eut le nez coupé en deux, sur le milieu des joues, l’une des mâchoires entièrement partagée, l’autre à demi tranchée, et la racine de la langue détachée de la gorge. Sa face n’offrait plus qu’une ouverture béante au-dessous des yeux, ouverture si énorme que les os de la moitié inférieure du visage pendaient horriblement. Ses serviteurs et ses amis le transportèrent dans sa maison et le gardèrent à demi mort, l’espace d’environ trois mois. Son existence, condamnée par une blessure à jamais incurable, était pour ses amis un sujet de peine plutôt /516/ que de joie; ne pouvant plus faire passer la nourriture par la bouche, ils étaient obligés d’introduire des aliments liquides dans l’ouverture béante de son gosier, L’infortuné, après avoir traîné si longtemps une existence devenue à charge, conçut à la fin le projet de se faire transporter, dès le lendemain, au Sanctuaire de sainte Foy et de manifester ses intentions par signes, comme il pourrait. Sa pensée n’était pas de demander la guérison corporelle, qui lui semblait absolument impossible, mais d’obtenir pour son âme le secours de la divine miséricorde, en allant mourir soit sur le chemin du pèlerinage, soit auprès de sainte Foy.

Son dessein était ainsi arrêté, lorsque, la nuit survenant au milieu de son /517/ abattement et de ses cruelles angoisses, il tombe dans un profond sommeil. Or il voit sainte Foy lui apparaître sous la forme d’une gracieuse et toute jeune vierge, d’une splendeur et d’un charme tels que nulle beauté humaine ne saurait lui être comparée. A la demande du blessé, elle fait connaître son nom; elle ajoute que, puisqu’il ne peut, malgré son désir, se rendre auprès de sainte Foy, elle accourt elle-même, par l’ordre de Dieu, pour lui porter secours. A ces mots, elle adresse pour lui une prière, à haute et intelligible voix, et la conclut par l’Oraison Domiminicale. Dès que la prière est terminée, l’habile médecin, introduisant ses doigts dans la bouche du blessé, redresse et consolide l’une après l’autre les dents qu’une infecte putréfaction avait ébranlées. Puis, lui posant sa main sous le menton, elle le relève, referme la plaie béante et, par une merveille de restauration divine, elle rend la vie à ces lambeaux pendants d’un visage mort. Après avoir ainsi donné la guérison au blessé, elle lui ordonne de se rendre aussitôt à Conques pour témoigner sa reconnaissance au saint Sauveur.

Aux premières lueurs de l’aube, le chevalier s’éveille; il porte la main à son visage; il le trouve entièrement reformé. Pour s’assurer, par une épreuve décisive, de la réalité du miracle, il veut constater s’il a recouvré l’usage de la parole. Il appelle d’abord à grands cris ses serviteurs, et, pressé par la faim qu’avait aiguisée sa longue abstinence il leur demande d’une voix éclatante de lui donner à manger. Ceux-ci, réveillés par cette demande à une heure si matinale, pensent d’abord entendre quelque insensé, puis, reconnaissant le son de voix de leur maître, ils demeurent immobiles de stupéfaction. Comme elle résonne toujours, ils accourent précipitamment, munis de flambeaux et, contre toute espérance, ils trouvent leur maître parfaitement guéri. Leur surprise est extrême; le chevalier leur raconte le dessein qu’il avait formé la veille, et la visite céleste qu’il a reçue durant son sommeil. Après avoir réparé ses forces par des aliments substantiels, il se met en chemin et se rend au sanctuaire de sainte Foy; puis il revient chez lui promptement; mais comme il était laïque et peu instruit, il ne songea pas à communiquer aux moines le récit d’un miracle si éclatant. Mais, sur l’avis du seigneur Pierre, qui dejà avait raconté le fait, il revint à Conques, non pas une fois mais à plusieurs reprises. Les personnes qui le fréquentent attestent que l’on voit encore sur son visage un mince filet rouge marquant la trace du glaive.

[Nota a pag. 515]

(1) Valières est mentionné dans le Cartulaire (nº 374), au xie siècle; il y est question d’un Raymond qui fait donation d’une terre située à Valières, in parrochia Sancti Desiderii. S’agit-il de la paroisse de Saint-Dier ou de celle de Saint-Diéry, ou de celle de Saint-Didier de Paunat (Puy-de-Dôme)? Il n’existe de Valières aujourd’hui dans aucune de ces paroisses. Cf. Cartul. p. XCII. Torna al testo ↑