Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Deuxième

/518/ Latino →

IX.

Comment l’abbé Pierre, sur le chemin de Sainte-Foy, fut quatre fois délivré miraculeusement des embûches de ses ennemis.

L’abbé Pierre se proposait depuis longtemps de se rendre à Sainte-Foy; mais il en était empêché par les pièges que lui tendaient ses ennemis. Partagé, durant ce long délai, entre la dévotion et l’appréhension, il prit enfin conseil des intérêts de son salut, céda à l’amour et refoula la crainte, et, animé d’une vive confiance, il se disposa à braver la mort.

Or son ennemi s’étant posté en un lieu favorable, à la tête de ses hommes, Pierre, qui n’avait pris aucune précaution, le rencontra tout à coup sur son chemin, loin du territoire de chacun des deux adversaires. Il ne s’en aperçut que lorsqu’il vit défiler les rangs de ses ennemis débouchant à sa rencontre sur le même chemin où ceux-ci savaient, par des espions, qu’il devait passer. Ils se croisèrent de si près qu’ils auraient pu s’entretenir ensemble face à face, sans autre séparation que de petits arbrisseaux, et Pierre aurait pu être atteint, en passant, par les lances de ses adversaires. Mais, par un effet visible de l’intervention divine, dans cette circonstance, nul de la troupe ennemie ne porta les yeax du côté où il se tenait; leur attention était absorbée par diverses futilités; ils s’informèrent même soigneusement, auprès d’autres voyageurs qui passaient, s’ils avaient rencontré nos Romins. Pierre voyait et entendait tout; ses compagnons le pressèrent de prendre vivement la fuite. Le conseil était peu utile: les chevaux des pèlerins étaient harassés de fatigue, ceux de la troupe ennemie étaient frais et reposés. Que ferez-vous, Pierre, dans une conjoncture si difficile? A quoi vous fêsoudrez-vous, à la fuite ou à l’immobilité? Mais il est dangereux de demeurer en ce lieu, et il est peu honorable de prendre la fuite. Si cependant ce dernier partit offrait plus de sécurité, la sécurité prévaudrait sur le point d’honneur. Vos hommes vous pressent instamment de fuir. Mais vous, dans l’ardeur de votre foi, dans la fermeté de votre /519/ confiance, loin d’être dépourvu de sens et de prudence, vous voyez qu’il ne reste qu’à placer votre espérance dans la protection des saints. Vous retenez donc vos hommes et vous les rassurez en leur montrant le miraculeux aveuglement des ennemis. Ceux-ci, en effet, devenus le jouet d’une singulière illusion, s’éloignent de ceux qu’ils recherchent et s’égarent dans les sentiers perdus de la campagne, errant à l’aventure. Pierre, au contraire, poursuivant sorr droit chemin, traverse sans encombre la rivière sur une barque, tandis que ses ennemis, lassés de leurs vaines recherches, reviennent bientôt après sur la route. Là ces derniers s’engagent à la suite des pèlerins, sur la piste de leurs chevaux. Mais, arrivés devant là rivière et apprenant du batelier que Pierre l’avait traversée depuis longtemps, ils rebroussent chemin et retournent chez eux.

Au retour de l’abbé Pierre, son ennemi, à la tête d’une forte troupe, vient se poster sur son passage, mais en un autre lieu, et se présente à l’improviste. A là vue de tous ces hommes d’armes qui se précipitent sur lui avec impétuosité, l’abbé comprend que cette fois il est aperçu et perdu. Il enfonce alors violemment ses éperons dans les flancs de son coursier et crie à ses compagnons et aux conducteurs des bêtes de somme qui le précédaient de courir de toutes leurs forces et de se sauver en toute hâte. Les chevaux étaient fatigués d’une longue route et chargés de fardeaux; mais la protection visible de Dieu leur donna des ailes, à ce point qu’ils laissaient loin derrière eux non seulement les chevaux ennemis, mais encore celui de Pierre qui était le meilleur de tous. Pierre, qui chevauchait le dernier, se tournait de temps en temps vers ceux qui le poursuivaient et leur adressait des paroles de défi. Après avoir ainsi parcouru une longue distance, il arrive dans un bourg fortifié où il trouve main-forte, et s’y réfugie. Naguère il lui semblait impossible d’échapper par la fuite, et maintenant en sûreté et à l’abri de toute poursuite, il raille son ennemi déçu et rend grâces au ciel de ce bienfait signalé. L’ennemi, plein d’astuces, simule le repentir et, hors des murs, s’adressant à Pierre, lui jure qu’un pèlerin de sainte Foy n’a rien à redouter de sa part. C’était une perfidie; il ne cherchait qu’à l’attirer en rase campagne, sous le prétexte d’une absolue sécurité. L’abbé, sans défiance, après avoir laissé paître et reposer les chevaux une partie de la journée, reprend sa route en toute confiance, persuadé que les ennemis s’étaient retirés. Mais ceux-ci, cachés dans le flanc de la montagne voisine, guettaient les pèlerins au passage, pour se jeter sur eux par derrière. Ils auraient aisément exécuté leur projet, si une rencontre fortuite n’eût renversé leurs espérances. Lorsque Pierre les eut dépassés, il se trouva tout à coup en face d’une autre troupe d’ennemis, qui arrivait par hasard du côté opposé. Le chef des nouveaux arrivants ayant reconnu Pierre, se précipite aussitôt sur lui et, la menace à la bouche, met sa lance en arrêt. Mais il retient son premier coup; avant de frapper, il veut se donner le plaisir de savourer sa vengeance et d’accabler sa victime sous la terreur et les menaces; puis il pousse sa lance d’une main sûre de son coup; mais l’un des compagnons de Pierre se jette subitement au-devant et détourne l’arme mortelle. L’ennemi n’eut pas le loisir de porter un troisième coup, car au même instant, les hommes d’armes qui étaient en embuscade accouraient à toute vitesse à la poursuite de Pierre. Rencontrant cette nouvelle troupe qui appartenait, pour des griefs différents, à un autre parti de leurs ennemis, ils se précipitent sur elle avec fureur et ne songent plus même à l’abbé. Celle-ci est obligée de laisser aller aussi l’abbé Pierre. Ce fut un singulier spectacle. Et nul n’intervenant pour arrêter le combat, les deux troupes se précipitent l’une sur l’autre, /520/ boucliers contre boucliers, lances entremêlées, tous animés d’une égale fureur, faisant retentir le cliquetis des armes, perçant les poitrines, et, chose horrible! frappant en aveugle et au hasard, se déchirant mutuellement les chairs, tronquant cruellement les membres, s’arrachant les entrailles.

Tels deux lions des plus féroces: l’un ayant rencontré un cerf, l’abat d’un seul coup et contemple sa victime d’un œil farouche; il prend plaisir d’abord à modérer ses morsures, afin de piquer plus vivement l’aiguillon de sa faim; il presse les flancs de sa victime et entr’ouvre sa gueule redoutable; il retarde le coup de la mort afin de prolonger l’assouvissement de sa volupté. Bientôt il s’apprête à employer la force de sa puissante mâchoire pour déchirer enfin l’animal sans défense, lorsque survient à l’improviste l’autre lion; les deux bêtes féroces se jettent l’une sur l’autre avec fureur, non tant pour se disputer la proie que pour défendre leur vie, et pendant ce temps le cerf s’échappe sain et sauf.

Ainsi, tandis que les deux troupes sont aux prises, Pierre s’échappe sain et sauf. Celles-ci se livrent de furieux assauts, non plus pour se disputer la prise de Pierre, mais pour défendre leur vie; elles reçoivent les coups qu’elles destinaient à un autre. Ils furent pris dans leurs propres filets et furent victimes des pièges qu’ils avaient eux-mêmes tendus sur la route (1). Leur iniquité retomba sur leur tête (2); par un juste châtiment, ils furent abreuvés au calice de la colère de Dieu (3). Dans ce combat, un grand nombre d’hommes tombèrent grièvement blessés; quatre furent tués de chaque côté.

Pierre arraché sain et sauf, par la protection divine et par l’intervention visible de sainte Foy, au filet du chasseur, ne se détourna pas même de son chemin et parvint heureusement au terme de son voyage, ne cessant de faire éclater son allégresse et d’exalter la puissance de Dieu et les merveilles de sainte Foy.

Telle est la relation que j’ai recueillie de la bouche même de Pierre. Et maintenant revenons aux autres récits des moines et des habitants de Conques.

[Note a pag. 520]

(1) Ps. cxxxix, 6. Torna al testo ↑

(2) Ps. vii, 17. Torna al testo ↑

(3) Is. li, 17. Torna al testo ↑