Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Deuxième

/522/ Latino →

XII.

Du miracle des portes de l’église et de celles de l’intérieur qui s’ouvrirent d’elles-mêmes à la prière des pèlerins.

D’après une ancienne coutume, les pèlerins célèbrent toujours des veilles, dans l’église de Sainte-Foy, munis de cierges et de torches. Pendant ce temps, les clercs et les hommes lettrés chantent les psaumes et les offices de la vigile. Les personnes illettrées, de leur côté, chantent des lais champêtres et d’autres frivolités de ce genre, pour tromper la fatigue et la longueur des nuits. Cette pratique semble une profanation choquante des saintes veillés. Je ne manquai pas de m’élever fortement, au chapitre des moines, contre cet usage absurde et intolérable, et je prouvai, par toutes sortes d’arguments, qu’il fallait le réprimer sans hésiter. A ma grande surprise, ils me protestèrent que cette coutume était légitime et louable, qu’elle était ratifiée par l’approbation du ciel et que l’abolir ce serait s’opposer à la volonté de Dieu. L’abbé parla alors ainsi:

« Du temps de ce vaillant Gimon, dont il a été dejà question, les supérieurs du monastère avaient maintes fois interdit ces chants tumultueux, ces cris aigus et sauvages des paysans, ces complaintes indignes du lieu saint. Mais ils ne purent réussir à les réprimer. Alors, de l’avis unanime des moines, il fut résolu que les portes de la basilique seraient fermées, le soir, et que le peuplé ne serait plus admis aux veilles sacrées. Cette mesure fut exécutée à plusieurs reprises. Or, un soir, après le repas, une multitude de pèlerins, plus nombreux que de coutume, munis de cierges et de flambeaux, vient assiéger les portes de l’église, poussant de grandes clameurs et demandant l’entrée de la basilique. On refuse absolument de leur ouvrir. Mais tout à coup, pendant notre sommeil, voilà que, sans aucune impulsion, les barres de clôture tombent, les portes roulent sur leurs gonds; les portes elles-mêmes de l’intérieur, qui ferment pour plus de sûreté le sanctuaire des reliques, s’ouvrent aussi. Ces dernières ne sont jamais ouvertes que par le seul gardien; nul n’est admis à les franchir que les personnages jugés dignes de cette faveur. A minuit, nous nous levons pour le chant des matines et nous trouvons l’église remplie d’une telle multitude de pèlerins célébrant la veille sacrée, que nous avions de la peine à fendre ses flots pressés pour gagner nos places. Nous étions dans la plus extrême surprise, car nous avions toutes les clés dans nos mains; nous demandâmes donc /523/ quel moyen violent avait été employé. On nous raconta alors le prodige qui venait de s’opérer et qui nous fut attesté unanimement par toute la multitude; nous ne pûmes donc lui refuser notre adhésion. Ce miracle, qui fut opéré avant celui de Guibert l’Illuminé, j’en ai été le témoin dans mon enfance et je l’admire aujourd’hui que je suis avancé en âge (1).

— Je le vois bien maintenant, répondis-je, ce miracle peut être considéré en effet comme une manifestation de la volonté divine. Du reste, rentrant en moi-même et faisant réflexion sur tout ceci, je reconnais que l’on peut tolérer ces lais rustiques mais innocents, que les paysans chantent avec une naïve simplicité. Peut-être, si l’on en réprimait l’usage, on porterait une grave atteinte au pèlerinage. Je ne veux pas dire que Dieu soit dignement honoré par ces complaintes futiles; ce qui l’honore, c’est la pénitence des saintes veilles et la droiture de ces âmes simples. C’est ainsi que jadis il fut permis aux Israélites d’immoler en sacrifice des animaux, à l’instar des idolâtres; seulement ils ne les offraient pas aux fausses divinités, mais au vrai Dieu. Et cependant l’on sait que de tels sacrifices ne pouvaient plaire parfaitement à Dieu; car Dieu ne recherche que le sacrifice d’un cœur contrit, le sacrifice de justice (2). Mais, par condescendance pour la dureté de leur cœur, il tolérait ces rites grossiers et ces cérémonies extérieures, pourvu que tout cela lui fût adressé. De même il tolère que ces hommes simples chantent leurs lais comme ils savent, pourvu qu’ils les consacrent à lui seul. Si d’autres se croient plus sages en ne partageant pas mon avis, qu’ils prennent garde de se laisser entraîner hors du sens pratique et exact par les hautes spéculations de leur science; qu’ils craignent de se mettre en opposition avec le sentiment de Dieu lui-même. Loin de moi cependant la pensée que Dieu puisse demander qu’on l’honore par de telles complaintes ineptes ou du moins futiles. Je prétends seulement qu’il les tolère et les agrée pour l’intention religieuse qui les inspire et par condescendance pour l’ignorance et la simplicité de ces hommes. Dieu est un père compatissant, plein de pitié pour la faiblesse de ses enfants; il connaît la fragilité de leur nature; loin de rechercher dans l’homme ce qui peut le condamner, il s’efforce de découvrir dans le cœur du pécheur la racine du salut. »

Cette réponse, qui n’avait d’autre mérite que la simplicité de mon faible savoir, contribua cependant efficacement à rassurer ceux d’entre les moines qui pouvaient conserver encore quelque scrupule. Ainsi les rôles furent changés; j’avais pris la parole pour reprendre; c’est moi qui fus repris par mon propre discours; je me combattis avec mes propres armes et je fus vaincu dans ce combat. Insensé que j’étais, j’avais eu la témérité d’apprécier la bonté de Dieu à la mesure étroite de l’esprit humain.

[Note a pag. 523]

(1) L’abbé qui vient de clore ainsi son récit est Adalgerius (Cf. ch. XIII du liv. I). Il nous apprend que ce miracle eut lieu avant celui de la guérison de Guibert, c’est-à-dire avant l’an 980. Torna al testo ↑

(2) Ps. l. 18, 20. Torna al testo ↑