Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Troisième

/528/ Latino →

II.

D’un pèlerin qui fut arraché à un horrible gouffre.

Voici un autre prodige inouï, opéré vers la même époque, dans des circons- /529/ tances effrayantes. Il nous paraîtrait absolument incroyable, si nous ne savions que rien n’est impossible à Dieu.

Des pèlerins de la province qui porte de toute antiquité le nom d’Interclusana, se rendant au tombeau de la sainte martyre, passaient par un lieu nommé vulgairement Saban (1), à deux milles de la ville d’Albi. Là, à travers un chaos de rochers qui enserrent son cours, la rivière mugissante se précipite avec un bruit horrible dans un gouffre épouvantable, d’où ses ondes écumantes rejaillissent dans les airs en tourbillonnant violemment. L’épaisse vapeur qui s’élève, le fracas dont les oreilles sont terrifiées, tout fait croire que cet abîme est un soupirail de l’enfer. C’est dans ce gouffre, dit-on, que saint Salvi, évêque d’Albi, précipita jadis les esprits infernaux qu’il avait chassés de la ville et qui, ayant fixé leur demeure en ce lieu maudit, y soulèvent, de ces bas-fonds jusqu’au plus haut des airs, cette sombre nuée. L’approche de ce précipice est inaccessible au pied du voyageur; l’œil ne peut même en mesurer la profondeur. Sur une dent de rocher, au point le plus resserré de la rivière, on a cependant jeté une passerelle, consistant en une claie de branchages; les voyageurs la franchissent à la hâte avec effroi.

Nos pèlerins, au retour de leur voyage, étant arrivés en ce lieu, avaient dejà traversé sans accident le précipice, lorsque l’âne de l’un d’eux, passant le dernier, enfonça son pied jusqu’au jarret dans l’un des intervalles du treillis et se renversa sur la passerelle, courant un danger imminent. Aussitôt son maître accourut pour le dégager. Au même moment, l’animal, par un suprême effort, parvint à retirer son pied; mais, dans la violence de ce mouvement, il heurta son maître à la poitrine et le précipita dans l’abîme. L’infortuné, entraîné par le tourbillon, disparut en un moment dans les profondeurs du gouffre, et y resta englouti près d’une heure. Pendant ce temps, tous ses compagnons, auxquels s’étaient joints les marchands qui faisaient le commerce dans ce lieu de passage, étaient descendus sur les deux rives et les exploraient avec anxiété, reprochant hautement à sainte Foy d’avoir laissé périr cet infortuné au retour même du voyage qu’il avait entrepris à son sanctuaire, et guettant le moment où le cadavre broyé remonterait à la surface des flots. La rivière, au sortir du gouffre de la cascade, se calme, élargit ses bords et reprend un cours tranquille. C’est là, sur les deux rives, que la troupe nombreuse interrogeait l’abîme, lorsque l’un des assistants, dirigeant ses regards au milieu des vagues bouillonnantes, aperçoit sur la surface de l’onde une tête qu’il prend pour un oiseau aquatique voguant sur l’eau. Il montre du doigt cet objet à ses compagnons. Le courant ayant entraîné cette épave près du rivage, l’un des pèlerins tend une perche que le noyé, car c’était lui, s’empresse de saisir; celui-ci échappe ainsi sain et sauf à ce terrible accident sans en éprouver le moindre mal. Son escarcelle elle-même, dont la courroie s’était nouée à son bras droit, s’était conservée intacte, par une protection divine. A cette vue, tous les assistants, répandant des larmes de joie, font éclater des acclamations en l’honneur de cette merveille divine, et célèbrent par les louanges les plus magnifiques la puissance sans bornes de sainte Foy dont la main bienfaisante, comme ils se plaisent à l’affirmer hautement, vient d’arracher une victime au gouffre et à la mort.

[Note a pag. 529]

(1) Sabanum, Saut-du-Sabot, ou plutôt Saut de Sabo, lieu du département du Tarn, à 5 kilom. environ d’Albi, sur le territoire de la commune de St-Juéry. A cet endroit, une des trois branches que forme le Tarn se rétrécît tout à coup et tombe en haute cascade. (Bastié, Descript. du départ. du Tarn.) Torna al testo ↑