Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Troisième

/531/ Latino →

V.

D’un semblable miracle opéré en faveur d’un chevalier.

Vers le même temps, sainte Foy opéra un prodige aussi surprenant. En voici la relation, aussi concise que les précédentes, mais avec les développements nécessaires à sa parfaite intelligence.

/532/ Dans le château de Conques (1) vivait un chevalier, nommé Bernard, homme recommandable en tout point, sauf en un seul où il a succombé aux pièges du démon et s’est rendu absolument odieux. Il avait un neveu, nommé Deusdet, auquel il avait voué une haine implacable, comme à son plus mortel ennemi, par convoitise pour son patrimoine qu’il se proposait d’usurper. L’ayant rencontré un jour, il se saisit de lui et, l’ayant fait prisonnier en trahissant sa confiance, il l’amena avec lui, le jeta dans un noir cachot souterrain, situé sous une tour, et le chargea de fers aux jambes et aux mains. L’infortuné, dénué de tout secours, ne cessait d implorer avec larmes l’assistance de sainte Foy, et mettait toute sa confiance en son intercession. Son oncle dénaturé, redoutant son évasion, avait pris les précautions les plus minutieuses. Il avait enlevé du cachot toutes les pierres, toutes les pièces de bois qui s’y trouvaient; il avait enfermé le cou du prisonnier dans un collier de fer dont la chaîne, passant dans une étroite ouverture de la muraille, était très solidement scellée au dehors. Il négligea cependant d’emporter et laissa dans la prison une perche qui atteignait jusqu’au plancher supérieur de la tour. Mais c’est assez de préliminaires.

Une nuit, le prisonnier sommeillait légèrement, lorsqu’il voit apparaître une jeune vierge d’une beauté à laquelle rien sur terre ne peut être comparé. Elle l’appelle plusieurs fois par son nom:

« Pourquoi dors-tu? lui dit-elle.

– Madame, qui êtes-vous?

— Je suis sainte Foy. Vaincue par tes instances et touchée de tes maux, je viens t’engager à t’évader de cette prison et te presser de fuir en toute hâte. »

A ces mots, elle s’élève vers le ciel. Le prisonnier s’éveille: aussitôt, étend la main sur le sol, et trouve un caillou placé là par une intervention surnaturelle. Au moyen de ce caillou, il brise aisément la chaîne de son collier, qui était rivée au delà de la muraille; mais, craignant de faire trop de bruit, il ne brise pas ses entraves et les garde intactes. Puis, par un suprême effort, il grimpe jusqu’au sommet de la perche. Là il arrive devant l’ouverture qui servait d’issue aussi bien pour entrer que pour sortir; mais il y trouve des geôliers couchés sqr le seuil; il les écarte aussitôt, non sans danger, puis il passe au milieu d’eux et se hâte de prendre la fuite.

Cependant l’aube du jour commençait à poindre et permettait dejà de distinguer les objets. Le fugitif, n’osant encore rentier au monastère de Conques, se dirige vers le sommet de la montagne, et ayant rencontré un paysan, il lui emprunte une hache, brise l’une de ses entraves, rattache l’autre à sa ceinture, comme il l’a raconté depuis en plaisantant, et monté sur un cheval, court en toute vitesse se réfugier au château qui porte le nom de Belfort (2). Là il brise l’autre entrave, qu’il envoie à sainte Foy et arrive lui-même bientôt après, rendant à Dieu et à la sainte les plus vives actions de grâces, et racontant à tous les assistants l’histoire de sa sa captivité et de sa délivrance.

[Note a pag. 532]

(1) Voyez plus loin, chap. xvii. Torna al testo ↑

(2) Bellofortis. Le château de ce nom a disparu; il a fait place à un hameau du même nom (commune d’Almon, canton de Decazeville; arrondissement de Villefranche, Aveyron). (Cf. Cartul. nº 240.) Le château de Belfort donna son nom à la maison de Belfort ou Beaufort-de-Saint-André (H. de Barrau, Docum. généalog., III, p. 57). Il était à environ 9 kilomètres à l’ouest de Conques. Torna al testo ↑