Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Troisième

/533/ Latino →

VII.

D’un chevalier, auquel sainte Foy rendit la chevelure qu’il avait perdue.

Tandis que nous sommes appliqué à raconter des miracles si prodigieux et presque incroyables, à la gloire de notre illustre sainte, d’autres plus dignes encore d’occuper la renommée surgissent de toutes parts et nous obligent d’interrompre notre relation et de la laisser inachevée. Si donc nous n’abrégeons leur récit, notre vie entière n’y suffira pas et nous ne finirons jamais. Nous n’ignorons pas que l’oeuvre /534/ entreprise par nous, en ce moment, est comme infinie. Mais, tant que la vie et les forces ne nous manqueront pas, nous ne nous lasserons jamais de recueillir les éclatants miracles opérés tous les jours par l’illustre vierge, et de confier au parchemin ces monuments de sa gloire impérissable. Ses louanges ne s’éloigneront jamais de nos lèvres; si la lenteur et l’infériorité de notre esprit sont capables de les affaiblir, elles n’en recevront néanmoins aucun préjudice, car lors même que notre langue deviendrait muette, notre pensée ne cesserait pas un seul instant de les célébrer. C’est que nous avons la confiance que ses mérites nous obtiendront de passer du côté gauche au côté droit du souverain Juge et d’être transformés de boucs impurs en innocents agneaux à la robe immaculée. Animé toujours par l’espoir de cette récompense, nous repoussons toute inspiration de la lâcheté et nous ne laisserons jamais tomber dans l’oubli, par notre inaction, les merveilles que nous avons eu le bonheur de contempler de nos yeux. Pour commencer d’acquitter notre dette, consignons sur cette page le récit d’un miracle que Dieu lui-même a opéré, dans sa toute-puissance, par les mérites de la sainte martyre.

Un brillant chevalier, nommé Bernard, originaire de Granson, en Auvergne (1), fut atteint d’une grave maladie, à son retour du pèlerinage de Rome. Il guérit, mais il perdit tout l’ornement de sa chevelure, comme une forêt touffue qui se dépouille de sa couronne de feuillage, vers les ides de septembre. Il fut si humilié de cette infirmité, qu’il renonça au métier des armes et aux réunions joyeuses des seigneurs ses pareils et, comme un enfant, il ne se plaisait que dans la compagnie de sa mère. Pour comble d’infortune, les seigneurs voisins, oubliant l’amitié qui les avait unis à lui, faisaient impunément, sans même être inquiétés, invasion de tous côtés sur ses terres. Tant de peines aigrirent son esprit et le jetèrent dans un tel trouble que sa raison commençait à en être ébranlée: la mort lui semblait moins dure qu’une telle vie.

Une nuit, après avoir repassé dans son esprit tous ses chagrins, il avait enfin cédé au sommeil, qui lui procurait l’oubli de tous les maux, lorsqu’un vieillard de haute taille et de l’aspect le plus vénérable et le plus bienveillant lui apparut et lui dit:

« Pourquoi es-tu si triste et si abattu? Cesse de craindre et de te désoler; si tu veux suivre mes avis, tu recouvreras tous les avantages de fit personne, dont tu déplores la perte. Empresse-toi d’aller en pèlerinage au sanctuaire de sainte Foy; c’est elle qui te rendra l’ornement de ta jeunesse. »

Le chevalier, tombé dans l’abîme du désespoir, traita ce conseil de folie et répondit que sainte Foy était impuissante à lui rendre la parure de sa tête, tombée dejà depuis sept ans. Quand le jour fut venu, il raconta sa vision à sa mère qui était très âgée; celle-ci la traita d’absurde rêverie. La nuit suivante, le même vieillard apparut de nouveau en songe au chevalier et lui renouvela le même avis en y ajoutant les instances les plus pressantes. Celui-ci ne fit pas plus de cas de cet avertissement que du premier. La troisième nuit, la glorieuse vierge Foy lui apparut elle-même, et, après lui avoir rappelé les avis du vieillard son messager:

« Ne diffère plus, ajouta-t-elle, entreprends le pèlerinage de Conques. Recom- /535/ mande à l’abbé Gerbert (1) de ma part de célébrer le divin sacrifice en mon honneur, devant le monument où reposent mes reliques, et tiens-toi debout à sa gauche, jusqu’à la fin de l’Evangile. Après l’offertoire, recueille l’eau qui aura servi à laver les mains de l’abbé, laves-en ta tête et passe au côté droit de l’autel. »

Le chevalier, éveillé dès l’aube, se leva aussitôt et s’empressa de raconter sa nouvelle vision à sa mère. Celle-ci, devenue dejà plus croyante, y ajouta foi et, ayant pris tout ce qui était nécessaire pour le voyage, se rendit avec son fils au monastère de Conques. Ils firent connaître à l’abbé tous les détails de la vision et les avis qu’il avait reçus. Celui-ci, avec l’humilité qui convient à des pères si parfaits, protesta qu’il était indigne du ministère qu’on lui demandait. Mais, vaincu par leurs pressantes instances, il accomplit avec piété et charité les prescriptions de la sainte. La nuit suivante le chevalier veillait et priait aux pieds de sainte Foy, lorsqu’un tendre duvet, semblable à celui des enfants nouveau-nés, apparut sur la surface de sa tête chauve. Le matin, il reprit le chemin de son pays. Or, dans le trajet, le sommet de sa tête se colora d’une teinte rosée, comme si le sang en eût coulé. Arrivé à sa maison, il rasa ce léger duvet, auquel succédèrent d’autres cheveux plus forts et plus épais; peu à peu le chevalier, grâce à l’intervention de notre sainte, recouvra l’ornement de sa chevelure et la dignité de sa noble condition.

[Note a pag. 534]

(1) Granson, oppidum Gravissonis, plus exactement Granssonis, lieu détruit, commune de Faverolles, canton de Ruynes, arrondissement de Saint-Flour (Cantal). Il est appelé Granson dans une charte du xie siècle, du cartulaire de Sàint-Flour. Il y eut longtemps une chapelle. En langue vulgaire: Gransoux. Torna al testo ↑

[Note a pag. 535]

(1) Il s’agit sans doute de Girbert, associé comme abbé secundum regulam au gouvernement de Bégon II (Cf. sup. l. II, c. v) et que la Chronique fait mourir au cours d’un pèlerinage à Jérusalem. Il est mentionné par le Cartulaire, de l’an 996 à l’an 1004. (Cartul., Introd., p. xiii. – Nº 125). Le fait raconté ici se serait donc passé dans les premières années du xie siècle ou à la fin du xe. Torna al testo ↑