Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Troisième

/535/ Latino →

VIII.

Résurrection d’un jeune homme.

Nous venions de terminer le récit succinct que l’on vient de lire, nous avions hâte de passer à d’autres, et voilà que survient un autre miracle à peine croyable. De crainte que la mémoire n’en périsse, si nous le négligeons, nous allons de suite le confier à ces pages.

Dans la région qui porte vulgairement le nom d’Ultraclausana(2), deux époux, engagés depuis longtemps dans les liens du mariage, se voyaient affligés de stérilité. D’un commun accord, ils entreprirent le pèlerinage de sainte Foy et offrirent leurs vœux à l’illustre martyre. A peine étaient-ils de retour que l’épouse se sentit exaucée et, après le terme ordinaire, elle eut un fils. Or l’enfant, ayant à peine vécu trois lustres (3), fut ravi à l’affection de ses parents par une mort prématurée. Ceux-ci, mis au comble de la désolation par un deuil si cruel, ne cessaient d’adresser leurs plaintes mêlées de larmes amères à sainte Foy, et la suppliaient de leur rendre l’enfant qu’ils avaient perdu.

« Glorieuse sainte, s’écriaient-ils, pourquoi nous avoir jadis remplis de joie par votre bienfaisance, puisque vous saviez à l’avance que la perte de ce bienfait, trop tôt ravi, devait nous plonger dans une désolation plus profonde? Il était à vous celui que nous pleurons. Pour l’obtenir, nous avions visité votre sanctuaire; prosternés dans la poussière au pied de votre autel, nous avons eu le bonheur de /536/ voir notre prière exaucée, et Dieu, ô tendre mère, avait comblé nos vœux par votre intercession. A quoi nous a servi, ô bienheureuse et glorieuse mère, d’obtenir cette faveur, puisque nous sommes réduits à en pleurer la perte? O vierge bénie du Christ, nous implorons votre pitié si secourable; rendez à la vie, rendez à ses parents cet enfant, don de votre main qui avait fécondé notre union. Vous avez le pouvoir de nous rendre ce que vous aviez su nous donner et que la nature nous avait refusé. Comme le premier, ce second prodige fera éclater votre souveraine puissance et l’efficacité des mérites de votre martyre. »

Telles étaient, entre bien d’autres, les plaintes et les prières que les parents éplorés, inconsolables, versaient sur le cercueil de leur fils perdu sans retour. Ils tenaient étroitement embrassé ce corps sans vie et éclataient en sanglots. Déjà les porteurs venaient enlever le cercueil et se dirigeaient vers l’église pour la sépulture. Alors les infortunés parents implorent à grands cris sainte Foy avec des accents qui fendent le cœur des assistants, et d’une voix entrecoupée par les sanglots, supplient la sainte de leur rendre celui qu’elle leur a donné et qu’ils ont perdu. Au milieu de ces cris lamentables, tout à coup le jeune homme lève la tête, du fond du cercueil, s’efforce d’écarter le suaire qui couvre son visage, et s’étonne du tumulte qui se produit autour de lui. La mère, qui se tenait toujours penchée sur le cercueil, sentant son fils revenir à la vie, dégage vivement le visage et les mains du ressuscité et, dans l’ivresse du bonheur, mêle les larmes de la joie à celles de la désolation dont son visage était encore inondé.

A ce spectacle, la troupe des assistants demeure interdite et comme glacée par la surprise; une profonde stupeur les paralyse dans l’immobilité. Enfin, quand le ressuscité eut secoué la torpeur de la mort, ses parents lui demandèrent si son âme, réellement séparée de son corps, s’était envolée dans un autre monde, ou si, seulement plongée dans un sommeil léthargique, elle n’avait cessé d’habiter son corps paralysé. Il répondit qu’il avait véritablement quitté ce monde et que son âme avait été conduite dans un lieu de ténèbres. Sainte Foy l’en avait tirée par sa puissance et l’avait réunie de nouveau à son corps pour reprendre le cours de sa vie terrestre. Ce qui rend, le témoignage des parents encore plus certain en faveur de ce prodige si extraordinaire, c’est que ceux-ci amenèrent ce nouveau Virbius (1) au tombeau de sainte Foy, pour qu’il racontât lui-même tous les détails du miracle. Là, devant les habitants accourus de tout le voisinage, il fit le récit de ce prodige, qui nous jeta dans l’admiration et qui nous arracha d’abondantes larmes de joie.

Ce miracle en rappelle un autre semblable qui fut opéré par le saint prophète Elisée sur un enfant mort (2). Il y a cette différence que la mère dé notre ressuscité avait obtenu ce fils par ses ardentes supplications adressées à la sainte martyre, tandis que l’autre, n’étant plus d’âge à espérer de postérité, prenait la promesse du prophète pour une raillerie. Mais, à la réserve de cette différence dans la manière dont la même grâce fut accordée aux deux mères, toute deux ne tardèrent pas à gémir sur la perte de ce don, puis, pressées par la même douleur, à se prosterner pareillement en suppliantes au pied de leurs bienfaiteurs, en leur redemandant avec instances leur trésor perdu; toutes deux devinrent de plus en plus pressantes dans leurs sollicitations et poursuivirent de leur importunitè leurs protecteurs auprès de Dieu. Le saint prophète, encore vivant, obtint par ses mérites la /537/ résurrection de l’enfant; notre glorieuse vierge et martyre était dejà sortie de ce monde et associée au chœur des anges, quand elle opéra le même prodige; car la sainteté de sa vie et les labeurs de son martyre lui ont mérité d’échanger cette vie pour la gloire du ciel. C’est pourquoi nous voyons tous les jours, à son tombeau, les esprits immondes tourmentés dans les corps des possédés, torturés et frappés d’invisibles fléaux par son intervention et enfin chassés et obligés de lui demander à grands cris qu’elle cesse de leur infliger tant de supplices. Ils n’agissent pas tous de la même manière: les uns jettent des cris humains, d’autres rugissent comme des lions ou grognent comme des pourceaux; d’autres sifflent comme des serpents, et tous, ne pouvant résister à la puissance accordée à la sainte par le Seigneur, abandonnent les corps des possédés et prennent la fuite.

Nous avons raconté comment notre jeune homme, avant sa résurrection, avait été plongé dans le ténébreux abîme. Quelques-uns peut-être opposeront des difficultés à ce récit. Comment croire, diront-ils, qu’un enfant à peine parvenu à son adolescence, et ne s’étant jamais rendu coupable, d’après le témoignage de ses voisins, ni d’homicide ni d’aucune faute grave, ait pu être condamné à un châtiment aussi sévère? Les considérations suivantes fourniront une réponse satisfaisante à ces doutes. Parmi les diverses périodes qui se succèdent dans la vie humaine, depuis la première enfance jusqu’à la dernière vieillesse, il en est deux plus paisibles que les autres: ce sont les deux extrêmes; les vices de la nature y sont moins impétueux. Mais, entre ces deux périodes, l’homme est plus ardent et plus facile à la séduction de toutes les voluptés. C’est pourquoi le droit romain affranchissait l’enfant de la tutelle à l’âge de quatorze ans, et émancipait la jeune fille, plus précoce, à l’âge de douze ans.

D’après ces données, notre jeune homme, étant adolescent, aurait bien pu être dejà entamé par la contagion du vice. Son âme, destinée au bonheur du ciel, aurait dû auparavant expier ses souillures. Car ce séjour divin n’admet ni tache, ni flétrissure, ni imperfection quelconque. Son roi Jésus-Christ y rayonne de l’éclat de la sainteté, de la pureté, de l’innocence, de la gloire; ses hôtes doivent pareillement briller de l’auréole de la sainteté pour être dignes d’y habiter. Eloigné de ce lieu de délices par les souillures de son âme, le client de notre sainte a été rappelé à cette vie par sa puissante patronne, afin d’apprendre, par cette leçon mémorable, à éviter avec soin de retomber dans le séjour des tourments et à tendre de toutes ses forces à la céleste patrie par la pratique des bonnes œuvres, de peur d’être de nouveau victime de la rigueur des jugements de Dieu. S’il y a échappé une fois par l’intervention de l’illustre sainte, c’est afin qu’il se rende digne, quand la mort le frappera de nouveau, d’être reçu dans l’éternelle gloire.

[Note a pag. 535]

(2) Cf. chap. ii de ce livre. Torna al testo ↑

(3) Quinze ans. Torna al testo ↑

[Note a pag. 536]

(1) Nom sous lequel les Latins honoraient Hippolyte rappelé à la vie. Torna al testo ↑

(2) Lib. IV Reg, IV, 35. Torna al testo ↑