Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Quatrième

/559/ Latino →

III.

D’un enfant à qui on avait crevé les yeux.

Le miracle suivant, que nous croyons ne pas pouvoir passer sous silence, n’est pas inférieur aux précédents. Dieu s’est plu à y faire briller l’éclat des mérites de son admirable vierge.

Un habitant de Conques, nommé Hugues, frère bâtard de l’orgueilleux viguier de ce lieu et fier de cette parenté, s’était rendu odieux à tout le pays par son insupportable arrogance et par sa méchanceté. Or il avait voué une haine irréconciliable à un villageois, nommé Benoît, d’un hameau voisin; il ne cessait de l’accabler d’outrages et de harceler sa patience par d’incessantes invectives. Celui-ci, à la fin, outré par tant de provocations, se jeta sur lui dans un moment de fureur, et le laissa mort. Puis, redoutant la vengeance des puissants parents de sa victime, il abandonna tous ses biens et prit la fuite. Son épouse, ne voulant se séparer de son mari, partagea son sort. Ne pouvant emmener leur jeune fils, âgé de cinq ans, ils le laissèrent dans la maison. Les parents d’Hugues, ayant trouvé cet enfant, et voyant que le meurtrier leur avait échappé, se saisirent du jeune innocent et firent retomber sur lui leur fureur égale à celle d’Oreste; mais dédaignant de mettre à mort un être aussi chétif, ils eurent la barbarie de lui crever les yeux, en enfonçant dans ses prunelles des chevilles aiguës, et le laissèrent à demi-mort. Mais le Dieu tout-puissant qui prend soin des malheureux dénués de tout secours, n’abandonna pas l’infortuné et lui servit de père. Les habitants de ce hameau le recueillirent et le transportèrent devant la porte de la basilique, où ils le dressèrent à demander l’aumône, comme les autres mendiants, auprès des pieux fidèles.

Il vécut ainsi de la charité, pendant plusieurs mois. Or, un jour, sur le soir, les habitants de Conques le conduisirent devant l’autel de leur sainte patronne et supplièrent instamment la puissante martyre de favoriser l’enfant de quelqu’une des merveilles dont elle était si prodigue. Tout à coup, tel qu’une étincelle qui ranime peu à peu le charbon refroidi et finit par le mettre tout en feu, un rayon de lumière commence à pénétrer dans les prunelles éteintes de l’enfant. Celui-ci, portant vivement la main vers les objets placés à sa portée, comme s’il les apercevait à travers la lueur douteuse de la lune, s’écrie, avec une pétulance toute enfantine, qu’il commence d’y voir. Cette exclamation rappela au souvenir des assistants l’aveugle qu’avait guéri le Sauveur et qui s’écriait qu’il voyait les hommes marcher comme des arbres (1). A son exemple, notre petit enfant sent peu à peu sa vue devenir plus claire; bientôt il reconnaît et désigne tous les objets qu’on lui présente. A ce spectacle, tous les assistants font éclater leur allégresse par des cris de joie et des acclamations, et l’ont retentir les voûtes de la basilique des louanges de la sainte. La population tout entière, avertie par ces chants de triomphe, envahit l’église, et tous, hommes, enfants, /560/ vieillards, redoublent leurs acclamations et leurs applaudissements, au point qu’ils étouffent la voix des orateurs qui veulent prendre la parole. Alors se vérifla’à l’égard de l’enfant la parole du psalmiste: « Mon père et ma mère m’ont délaissé; mais le Seigneur m’a recueilli (1) ». Les religieux du monastère, pleins de charité, le recueillirent en effet et l’entretinrent avec eux jusqu’à ce que, la mort l’ayant enlevé, il se fût envolé au ciel.

[Nota a pag. 559]

(1) Marc, viii, 24. Torna al testo ↑

[Nota a pag. 560]

(1) Ps. xxvi, 10. Torna al testo ↑