Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Quatrième

/562/ Latino →

VI.

De celui qui fut délivré des mains des Sarrasins.

Passons sous silence l’Ausonie d’Orient (1), et recueillons les prodiges nombreux et éclatants que notre sainte opéra dans l’Ausonie d’Occident; leur importance nous fait un devoir de les publier. Cette contrée offre une plaine d’une étendue assez considérable, propre aux pâturages et arrosée par la rivière de Sègre, qui lui a donné son nom. Dans cette plaine charmante, se dresse une petite ville, nommée Colonie (2), qui possède depuis longtemps une église dédiée à sainte Foy.

Les magistrats de la cité, animés d’une vive dévotion à l’égard de notre sainte et désireux d’entretenir et de resserrer leur union avec la vénérable basilique de Conques, adressèrent à l’abbé et aux religieux des messagers chargés d’une lettre. Ils leur faisaient savoir que, pressés par les fréquentes irruptions des Sarrasins, ils plaçaient leur ville sous la protection de sainte Foy et lui en conféraient la propriété. Mais, comme ils étaient séparés du tombeau de la sainte par une distance très considérable, ils s’engageaient à un tribut annuel d’une somme d’or, pour contribuer à la décoration de la basilique, et si leur sainte patronne leur obtenait la victoire dans les combats, ils s’obligeaient encore à lui faire don de la dîme de toutes les dépouilles enlevées sur les Sarrasins.

Les moines, ravis de voir que le culte de leur glorieuse patronne florissait aux extrémités du monde, accueillent avec empressement le message et l’émissaire, et se concertent pour examiner ce qu’ils peuvent faire de mieux en faveur de ces clients lointains. Adoptant enfin l’avis le plus judicieux, ils se décident à leur envoyer, avec un message d’amitié, un étendard de leur sainte qui, placé à leur tête, devait les animer, par son invocation, à vaincre leurs ennemis. Les habitants de Colonie, pleins d’un nouveau courage à la vue de cet étendard, se précipitèrent sur les Sarrasins en invoquant le nom de la sainte, les taillèrent maintes fois en pièces, et, chargés de dépouilles, revinrent triomphants dans leur ville. Fidèles à leur vœu, ils offrirent, à l’exemple du patriarche Abraham, la dîme de leur butin à sainte Foy, qui était ici la figure du grand prêtre Melchisédech. Car de même que celui-ci offrit le pain et le vin pour rendre grâces à Dieu de la victoire remportée par le patriarche Abraham, de même notre pure vierge, pour obtenir les grâces de délivrance par l’invocation de son nom, avait jadis été elle-même, aux yeux du Seigneur, prêtre et agréable victime sur l’autel du gril de fer, au milieu des flammes ardentes.

Dans le faubourg de cette ville, vivait dans une honnête aisance un homme simple et paisible, nommé Oliba. Or un Sarrasin, du château voisin de Balaguer, étant venu dans ce lieu pour traiter quelque affaire, remarqua cet homme et sa /563/ position, et, poussé par une ardente cupidité, il résolut de l’enlever, afin de lui extorquer une riche rançon. Aidé du secours de quelques complices, il s’introduisit furtivement dans sa maison, s’empara de sa personne, l’enleva de force et lui lia étroitement les pieds et les mains. Puis ce monstre, plus cruel que la furie Tisiphone, et qu’une tigresse privée de ses petits, ne pouvant jamais se rassasier des tortures de sa victime, enferma l’infortuné dans une étroite niche et plaça autour de sa tête des pièces de bois armées de pointes de fer, de sorte que le captif ne pouvait ni prendre sa nourriture, ni s’appuyer un seul instant pour dormir, ni reposer ses membres accablés de lassitude.

Le prisonnier, ayant souvent entendu célébrer les miracles de notre sainte, ne cessait, jour et huit, d’invoquer son secours à grands cris; il s’engageait même à se consacrer à son service jusqu’à la fin de ses jours et à prendre l’habit religieux dans le monastère de Conques. Dieu, dans son ineffable miséricorde, touché des plaintes lamentables de cet homme si cruellement torturé, envoya vers lui la sainte martyre, dans les ténèbres de la nuit. La bienfaisante sainte lui apparut tandis que ses paupières étaient appesanties par le sommeil, brisa et jeta à terre tous ses fers et tous les instruments de torture et ne se retira qu’après l’avoir entièrement délivré. Mais celui-ci, redoutant la mort horrible à laquelle il s’exposait, n’eut pas le courage de prendre la fuite; le lendemain, il fut encore saisi et soumis à la même torture. La puissante sainte, par la volonté de Dieu, brisa ses fers une seconde et même une troisième fois. Alors le bourreau s’avoua vaincu; il ne crut pas pouvoir lutter contre le ciel. À la faveur d’une trêve conclue avec les chrétiens, il ramena le malheureux dans sa maison. Celui-ci publia aussitôt le miracle étonnant dont il avait été favorisé; renonça à ses biens, et, en accomplissement du vœu qu’il avait fait dans sa prison, s’empressa de revêtir l’habit monastique et de se rendre à Conques avec un seul compagnon. Il y vécut saintement, le reste de ses jours, dans la ferveur du service de Dieu et de la dévotion à sa bienfaitrice, jusqu’à ce qu’il eut payé son tribut à la mort.

Son compagnon, Guillaume, racontait aussi un miracle dont il avait été lui-même l’objet. Ayant été frappé de paralysie dans sa jeunesse, il perdit l’usage de la main gauche qui demeura recourbée et adhérente au flanc, ne pouvant ni s’élever jusqu’au visage ni se mouvoir d’aucune manière. Ses parents, voyant son infirmité incurable, le portèrent dans l’église de Sainte-Foy, à Colonie, et implorèrent en sa faveur l’assistance de la sainte. Sa guérison fut instantanée; il se joignit à ses parents pour faire éclater les plus ardentes actions de grâces en l’honneur du Roi tout puissant et de sa grande sainte.

[Note a pag. 562]

(1) L’Ausonie est le nom poétique de l’Italie. C’est là sans doute pour notre historien l’Ausonie d’Orient, à laquelle il fait simplement allusion, et qu’il avertit de ne pas confondre avec l’Ausonie ou plutôt l’Ausona d’Occident, où il place le théâtre de son récit. Celle-ci est l’Espagne, et, dans l’Espagne le diocèse d’Ausone ou Vich d’Osona, en Catalogne, non loin de Barcelone, et aussi de Balaguer, dont le château est cité au cours de ce récit. La rivière de Sègre (Segarra) arrose ce pays. Le Cartulaire de Conques mentionne (nº 467) le diocèse de Vich d’Osona, dans lequel l’abbaye possédait, à la fin du xiesiècle, l’église de Taganament. Torna al testo ↑

(2) Colonie, Colonicum, aujourd’hui Calonge, dans le diocèse de Vich, en Catalogne, Espagne. Cette paroisse reconnaît sainte Foy pour patronne et titulaire. – Dans le même diocèse, deux autres paroisses, celles de Raurich et de Montarguil sont dédiées à sainte Foy. (V. plus haut, p. 365.) Torna al testo ↑