Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Livre Quatrième

/583/ Latino →

XXIII.

D’un chevalier atteint d’une grave infirmité intestinale.

Voici un genre de guérison bien singulier: je ne dois pas pour cela le passer sous silence. J’estime que ce trait est un des badinages de la sainte. La bonne sainte ne se pique-t-elle pas d’avoir des remèdes merveilleux pour les variétés les plus extraordinaires des maux auxquels peut être sujette notre nature dégénérée? Parfois elle se plaît à imaginer des potions admirables, que n’ont jamais versées à leurs clients ni le fils de Phébus, ni les médecins du Pont, ni la main fourchue du centaure Chiron. Elle ne s’arrête point à user du tranchant du fer pour opérer /584/ les membres atteints, ou à murmurer des charmes d’enchantement pour calmer les cruelles souffrances. Son commandement suffit à tout; il a le pouvoir d’opérer toutes les merveilles. A sa voix les prisons s’ouvrent, les cachots souterrains deviennent béants, les chaînes de fer fondent comme la glace sous l’action du soleil, les instruments de torture perdent leur pouvoir de nuire. L’impitoyable mort elle-même recule frappée de stupeur en se voyant arracher la proie qu’elle avait dejà saisie et en contemplant ses victimes rendues à la vie et reprenant leur carrière brisée. L’enfer lui aussi, qui garde irrévocablement les condamnés de la justice divine, a connu les mêmes étonnements et les mêmes regrets. Bien des fois il a rugi en se voyant enlever des victimes délivrées par l’illustre vierge; elle les a ramenées sur la terre; elle a introduit dans le ciel ces âmes arrachées à des passions coupables et à une vie criminelle. De nos jours encore, cette vierge toujours miséricordieuse écoute les prières de ses clients et n’oublie jamais ni les témoignages, quels qu’ils soient, de leur vénération, ni leurs demandes, durant leur vie entière. La pieuse vierge les conserve et les presse affectueusement dans son cœur, les dépose devant le trône du Très-Haut et les présente au Roi des rois dont elle est la fidèle assistante. Ses douces prières apaisent la justice divine irritée, obtiennent le pardon des coupables et leur ouvrent le ciel. Cette puissante patronne fait inscrire le nom de ses concitoyens de la terre dans le livre de vie des habitants du ciel, et leur obtient de devenir les citoyens de l’éternelle patrie.

Et maintenant, après que j’ai célébré, par ces vers épiques (1), quelques-unes des gloires que l’illustre martyre fait éclater sur terre et dans le ciel, mon récit réclame d’être présenté au lecteur.

Un vaillant chevalier de l’Auvergne, par un accident des plus malheureux, éprouva une rupture intérieure à travers laquelle les intestins déplacés firent irruption. Il en conçut un si profond chagrin qu’il ne cessait d’invoquer la mort comme une délivrance. Après un long délai, déchu de la chevalerie au rang de simple fantassin, il demanda conseil à son épouse au sujet de son mal qu’elle connaissait. Sur l’avis de celle-ci, il résolut de demander sa guérisèn à l’intervention de sainte Foy. Pour accomplir son dessein, il part, malgré l’opposition et les objectionè de sa femme et se transporte à la basilique de la glorieuse sainte. Là, prosterne aux pieds du tombeau de la sainte, il la supplie avec larmes, de toute la ferveur de son âme, de le guérir. La nuit suivante, après avoir veillé et prié devant ses reliques, il s’était endormi de fatigue, lorsque tout à coup la sainte martyre lui apparut et lui adressa la parole avec la modestie qui sied aux vierges: « Dormez-vous? lui dit-elle.

— Oui, répondit-il.

— Jusqu’ici, reprit-elle, parmi les genres de maladies que j’ai guéries en grand nombre, on ne s’est jamais adressé à moi pour celle qui fait l’objet de votre demande. Mais je ne veux pas vous laisser retourner sans avoir fait quelque chose pour vous; voici comment vous guérirez. Connaissez-vous le forgeron établi dans voire voisinage?

— Oui, je le connais personnellement.

— Allez le trouver au plus tôt, et priez-le de s’armer de son marteau le plus lourd, celui dont il se sert pour broyer le fer ardent qui sort de la fournaise, et /585/ de frapper de toutes ses forces sur votre mal que vous aurez étalé sur son enclume; vous serez alors subitement guéri. »

Le chevalier s’éveille, profondément étonné par cette recommandation, qu’il est tenté de prendre pour une amère dérision, et il se demande longtemps ce que signifie une telle vision. Après de longues tergiversations, il prend son parti et s’en retourne chez lui, fermement résolu de braver la mort. Il va trouver secrètement le forgeron désigné et lui fait connaître confidentiellement l’ordre qu’il a reçu de la sainte. A cet étrange récit, celui-ci ne peut s’empêcher de proférer des exclamations de la plus vive surprise, et proteste avec serment qu’il ne se prêtera jamais à une telle extravagance qui tient du délire.

« Croyez-moi, lui dit-il, les paroles que vous avez entendues ne viennent pas de la bienfaisante sainte, mais de quelqu’un qui a voulu se moquer de vous. Si vous poussez la crédulité jusqu’à exécuter un tel ordre, vous vous rendrez coupable de suicide. Pour moi, je ne consentirai jamais à coopérer à un si grand crime, car je suis assuré que vous y trouveriez une mort certaine. »

Le forgeron, pour se défendre des pressantes instances du solliciteur, a beau objecter avec énergie la vive appréhension qu’il éprouve au sujet des parents qui vengeraient la mort cruelle occasionnée par un tel coup; le chevalier l’assure que toutes ses craintes sont vaines. Alors, sans discuter davantage, le chevalier étale sur l’enclume le siège de son mal et se dispose à recevoir le coup fatal. Le forgeron s’arme d’un énorme marteau et, de tout l’effort de son bras, l’élève au-dessus de sa tête. A la vue de cette masse énorme suspendue menaçante au-dessus de lui, le patient, saisi soudainement d’un violent effroi, fait un bond subit en arrière, tombe avec fracas sur le sol et reste étendu comme sans vie. Dans cette chute violente, ô prodige! la masse intestinale reprend subitement sa place dans l’intérieur de son corps, de sorte qu’elle n’en sortit jamais plus durant la vie entière du chevalier. Ainsi il se releva entièrement guéri, sans avoir recouru à l’effet révulsif d’aucune potion médicinale, mais simplement par un badinage, pour ainsi dire, de sainte Foy; ce qui a fait de ce trait un plaisant sujet d’étonnement pour la postérité. C’est ainsi qu’il fut délivré d’un fardeau incommode et d’un sujet de cruel opprobre. C’est ainsi que la crainte d’une mort horrible fournit à la sainte martyre l’occasion de faire éclater sa gloire et fut suivie de l’immense joie d’une guérison merveilleuse. Que personne ne s’imagine que ce fait soit une plaisanterie de notre invention, à laquelle on ne doive accorder aucune créance. Nous invoquons à l’appui le témoignage de Robert, abbé du monastère de Chanteuge (1), vieillard des plus graves et des plus vénérables. C’est de lui que nous tenons ce récit. Quant au chevalier guéri, il réside dans un pays éloigné; il n’a jamais paru depuis devant nous. Mais celui qui nous a raconté ce fait n’est pas de ceux qui cherchent à amuser le public par d’ineptes plaisanteries et des contes badins; c’est l’homme le plus recommandable par sa gravité et sa sincérité. Faire difficulté de croire à sa parole, ce serait douter des bienfaits même de Dieu.

[Nota a pag. 584]

(1) Le prologue qui précède est en vers hexamètres, dans le texte latin. Torna al testo ↑

[Nota a pag. 585]

(1) Chanteuge, Cantojulense monasterium, dans le diocèse de Clermont, puis de Saint-Flour. Le Gallia christiana mentionne un abbé du nom de Robert, qui fut ensuite abbé d’Issoire sous le règne de Lothiaire, c’est-à-dire vers 956. (Gall. christ. II, col. 137). Torna al testo ↑