Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Supplément 1 – Manuscrit de Conques

/592/ Latino →

IV.

De ceux qui, dans diverses régions, tentaient de dévaster la terre de sainte Foy, et d’une vision merveilleuse.

Vers le milieu du territoire qui s’étend entre les villes d’Albi et de Cahors, est située l’église de Sainte-Foy de Belmont (2), placée sous la protection d’un chevalier, nommé Amélius Guy. Celui-ci avait pour ennemis irréconciliables deux chevaliers vivant dans des régions différentes, mais unis dans la même haine. Or il advint que tous deux, sans s’être concertés, se dirigèrent, le même jour, avec leurs hommes et leurs chevaux, vers les terres d’Amélius pour les piller. Mais, comme les possessions de ce dernier avaient été dejà dévastées plusieurs fois, les agresseurs avaient la pensée de se porter sur la terre de sainte Foy où ils devaient trouver un facile butin; car les paysans de la région environnante y avaient établi leur refuge sous la protection révérée de la sainte. Bref, ils s’avancent en armes, prêts au combjat, d’un côté Raymond d’Albi, de l’autre Arnold de Cahors, avec tous les hommes qu’ils avaient pu recruter. Mais dès qu’ils approchèrent, par des côtés opposés, de la terre de sainte Foy, il se produisit un événement si merveilleux que l’on ne peut s’empêcher de l’attribuer à l’intervention du ciel. Arnold, après avoir chevauché presque toute la nuit, aperçoit au loin, à la faible lueur de l’aurore, une troupe de soldats en marche, se précipitant au combat. Trompé par cette demi-obscurité, il ne doute point qu’il ne se trouve en face d’Amélius qui se sera porté au devant de lui. Il se précipite aussitôt /593/ de ce côté. L’aurore commence dejà à dissiper les ténèbres; mais, avant qu’elle ait pu le tirer de son erreur, il distingue, sur le côté opposé de la colline, un bataillon qui se dirige de son côté et une troupe de casques étincelants qui fond sur lui, en ordre de combat.

Aussitôt il crie: « Aux armes! aux armes! » il dresse ses étendards et il se précipite tête baissée dans la mêlée. Le choc est terrible; les plus vaillants succombent de part et d’autre; aucun parti ne veut lâcher pied, et bientôt le champ est jonché de cadavres. Enfin la victoire demeure aux Albigeois; les Cadurques, réduits à un petit nombre, prennent la fuite et laissent le champ à leurs adversaires. Mais bientôt ils s’arrêtent, honteux de leur défaite, furieux de la perte de leurs compagnons; ils reprennent courage, se rallient avec ordre et se précipitent avec une nouvelle ardeur sur le champ de bataille, pour venger leur désastre dans un combat plus heureux. Dès qu’ils arrivent au lieu du carnage, ils rencontrent les vainqueurs occupés à dépouiller les cadavres. Ils fondent sur eux avec fureur, frappent d’estoc et de taille et, vainqueurs à leur tour, ils les mettent en fuite et s’emparent à la fois des dépouilles des ennemis et de celles des leurs. Les Albigeois battus, ne sachant de quel côté diriger leur fuite, se portent, pour s’y réfugier, vers le châtçau dont le seigneur était Amélius, contre qui ils venaient dé préparer leurs embûches. Sainte Foy les livra entre ses mains, de la même manière qu’Elisée avait jajdis remis les brigands au pouvoir du roi de Samarie (1).

Les habitants du château, à cette vue, font éclater la joie la plus vive; ils célèbrent par des chants d’allégresse les louanges et la puissance de Dieu et de son illustre martyre Sainte Foy, qui leur avait livré prisonniers, sans effusion de leur propre sang, ces agresseurs dont ils avaient eu si souvent à déplorer les attaques victorieuses. Les Albigeois, après avoir fait humblement leur soumission à la sainte, s’en retournèrent dans leur patrie, reconnaissant hautement l’intervention redoutable de Dieu et de sainte Foy dans la catastrophe qui leur avait causé la perte lamentable de tant de compagnons.

Peu après, Raymond, le chef qui avait dirigé cette attaque sacrilège, fut frappé par le glaive de la justice divine; sa tête enfla tout entière et tomba en pourriture, exhalant une odeur insupportable; il périt misérablement, et son âme fut précipitée dans les abîmes du Tartare. Quant aux Cadurques, ils se félicitèrent d’abord de la victoire qu’ils avaient remportée dans le second combat et du gain qu’ils avaient amassé. Dans la suite ils conçurent un vif regret de leur tentative sacrilège et résolurent d’en implorer le pardon. Ils prirent avec eux, pour délégué, Guillaume, prévôt de Saint-Etienne (2), et se rendirent pieds nus, à la basilique de la glorieuse sainte Foy. Là, d’un cœur contrit, ils font l’humble aveu de leurs fautes et en demandent la rémission. Ils célèbrent les saintes veilles au pied de la vénérable Majesté de la martyre et, après lui avoir rendu les plus vives actions de grâces, ils retournent dans leur patrie.

[Nota a pag. 592]

(2) Notre-Dame de Belmont ou des Planques, située dans la commune de Tanus, département du Tarn (Cf. liv. IV, c. xiv et le ch. v qui fait suite à celui-ci), à quelque distance des confins du Quercy. (Cf. Cartul., Introd. p. ciij.) Torna al testo ↑

[Note a pag. 593]

(1) I Reg. vi, 19, 20. Torna al testo ↑

(2) Saint Etienne est le titulaire de la cathédrale de Cahors. Ce Guillaume était donc prévôt du chapitre cathédral. Torna al testo ↑