Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Supplément 2 – Manuscrit de la reine de Suède

/597/ Latino →

III.

D’un chevalier blessé d’une flèche qui fut guéri par sainte Foy.

Notre siècle décadent, dans son esprit de dénigrement, s’élève contre notre œuvre; n’accordant son attention qu’à ce qui le flatte, il se détourne avec mépris de ce qui lui serait plus utile. S’abandonnant à toutes les licences de la parole, il ne met aucun frein au dérèglement de ses discours; sa langue n’observe aucune retenue. Or si la droiture et la retenue sont bannies de ses discours, il apparaît clairement que; sa conscience est pleine de dérèglement; car, ainsi que le dit un poète, tel l’extérieur, tel l’intérieur (1). Mais ô ignominie révoltante, perversité impudente, licence intolérable! n’a-t-il pas perdu l’honneur avec la réserve, n’a-t-il pas renoncé à la vertu par son libertinage, n’a-t-il pas renié la religion en méconnaissant le respect? Mais il ne convient pas de nous attarder à de telles considérations, car la langue qui veut célébrer les gloires éclatantes de sainte Foy doit demeurer absolument étrangère au contact de ces honteuses aberrations. Venons donc à notre récit.

Le château de Filigières est connu d’un grand nombre pour la force de ses remparts et de sa garnison. Mais il arrive trop souvent que les fortifications les plus redoutables occasionnent plutôt du détriment qu’elles ne donnent de l’avantage à leurs maîtres. En effet, en leur inspirant la présomption, elles les exposent souvent à de cruelles déceptions; en exaltant l’arrogance des défenseurs, elles attisent la fureur des assaillants. Le seigneur de ce château, appelé Giselfroi, se porta un jour, avec une troupe de soldats, contre un château voisin pour l’assiéger ou même, s’il pouvait, pour l’envahir. Quand il fut arrivé devant ses murs, les deux partis déployèrent aussitôt toutes les ressources de leur courage et de leur habileté. Les assiégeants élèvent une machine de guerre contre les murs; tous les arts du siège sont mis à contribution: le bélier avec sa haute structure, les terrassements d’approche, la catapulte qui lance les quartiers de roche avec un sifflement sinistre, la tortue et le mantelet roulant, les échelles posées contre les murs et d’où les assiégeants tentent de pénétrer dans le fort.

Or, tandis que le combat était des plus ardents des deux côtés et que, selon la coutume, la victoire hésitante passait tour à tour d’un camp à un autre, un chevalier de Filigières, nommé Mathfred, à la tête de ses hommes, se portait rapidement de tous côtés, combattant avec furie. Il allait et venait, il encourageait ses hommes, les rangeait habilement, leur donnait des armes et les dirigeait. Jusque-là le succès secondait ses efforts; mais c’était en vain que sa force en était augmentée, car chacun des combattants déployait grande vaillance, dans l’espoir de voir ses exploits célébrés par toutes les bouches et de s’attirer l’attention et la préférence du maître. Notre chevalier avait entendu raconter que, au combat de Marathon, on /598/ estimait comme un déshonneur de n’avoir pas reçu de blessure. La plus belle gloire d’un héros c’est d’offrir sur son corps de larges cicatrices. Parmi les fiers défenseurs du peuple brille Mucius (1), avec son bras mutilé. Lorsque le grand [Pompée] surprit les retranchements de César, parmi tant de visages dépourvus de cicatrices, celui du borgne Scéva (2) fut le plus beau. La plus grande gloire est due à qui supporte les plus grands travaux. Quant aux hommes timides, lâches et vils, leur vertu, au contraire, est traitée d’inactive. La fortune serait bien mal avisée de favoriser de tels pusillanimes.

Cependant les flots irrités emportent le navire; les vagues mugissent et s’enflent sous le souffle de la tempête; la nuit sinistre répand ses épaisses ténèbres. Or tandis que le chevalier se disposait à semer le carnage, comme un lion qui se délecte à sucer le sang humain, il ne prenait pas garde qu’il était sous l’influence d’une cruelle destinée, tel que le tigre désolé par la perte de ses chers petits. En ce moment, un habile archer le guette; sa flèche vise lentement, puis tout à coup siffle et atteint le chevalier sous l’œil, au milieu de la joue. Le malheureux peut dejà apprécier ce que coûtent les sollicitudes de ce monde. En effet le trait s’était enfoncé si profondément à côté du nez, dans la joue, que le fer y disparaissait complètement jusqu’à la hampe; indice d’une blessure des plus dangereuses. On arracha le bois, mais le fer demeura dans la plaie. Les médecins employèrent toutes les ressources de leur art; mais ils furent forcés dé déclarer que la flèche s’était enfoncée dans les profondeurs du crâne et qu’ils ne connaissaient aucun moyen de la retirer sans danger de mort. Telle fut la conclusion des praticiens les plus habiles. On ne pouvait en effet arriver à aucun résultat favorable, jusqu’à ce que l’on se fût redonné quelque confiance en écartant la peau et en enlevant les chairs tout autour de la plaie. Cette opération ayant été jugée trop dangereuse, l’on conclut qu’il serait téméraire d’arracher le trait par quelque moyen que ce fût. Cependant l’un des médecins, se flattant d’en savoir plus que les autres, ne se rendit pas à cet avis. Il applique le fer et le feu sur la blessure et il cherche à saisir la flèche par l’ouverture, mais il ne peut y parvenir. A la vue de la profondeur où s’est enfoncé le fer, il craint pour les suites de son entreprise, et renonce à son dessein. Il s’assure ainsi que toute opération est inutile.

Un jour s’était ainsi écoulé dans ces tentatives. Tout espoir était perdu; le blessé lui-même ne conservait aucune espérance, ce qui est le comble de l’infortune. Dans cette triste conjoncture, l’épouse du seigneur Giselfroi, sous l’inspiration du ciel, va trouver la femme du blessé. En la voyant accablée sous le poids de sa douleur et en proie à une terrible angoisse, elle sent son cœur touché de compassion et lui parle, ainsi:

« O épouse si dévouée, si vous exécutez le conseil que je vais vous donner, votre mari recouvrera la santé que vous n’espérez plus, et votre cœur sera comblé d’une joie extrême. »

Celle-ci s’empressant de lui promettre son adhésion, la damé reprit:

« Nous savons tous que la vierge sainte Foy, patronne du bourg de Conques, vient au secours de ces sortes d’infortunes et accorde infailliblement à ceux qui l’invoquent avec confiance la guérison de ces maux. Si donc vous implorez son /599/ secours dans ce malheur avec toute l’ardeur de votre piété et si vous lui témoignez une ferme confiance, vous aurez sans tarder le bonheur d’obtenir la guérison demandée. »

Aussitôt l’épouse, fidèle à sa mission, adresse sa prière à la sainte du cœur le plus ardent; elle redouble ses vœux pour obtenir d’elle cette grâce signalée. Lecteur, croyez-le bien, elle ne manquera pas d’être exaucée. La prière pénètre jusqu’au sommet du ciel, sainte Foy conjure tous les dangers. Aussitôt le malade s’endort et trouve le repos, comme s’il attendait le secours de la céleste guérisseuse. Quand on le vit ainsi endormi, on eut la pensée de rappeler encore une fois le médecin, pour voir s’il consentait à tenter de nouveau ce qu’il avait déclaré impossible. Car il est plein de sens cet adage du poète: Un labeur obstiné vient à bout de tout. L’infortuné va recevoir une grande joie; bien plus, il donnera la consolation à bien d’autres affligés. Voici la puissante guérisseuse qui descend du haut du ciel et qui vient rendre visite au blessé gisant et n’attendant plus que la mort.

Tandis qu’il reposait et qu’il était enseveli dans un profond sommeil, le médecin était arrivé et inspectait la blessure. O bonheur! la flèche qu’il avait vue naguère enfoncée jusqu’au fond du crâne, il la voit maintenant détachée sur le bord de la blessure. Il la saisit légèrement et la retire sans le moindre effort et sans éveiller le blessré. Plus de danger pour lui; la joie revient dans tous les cœurs, on acclame la glorieuse sainte Foy. Ces cris et ce tumulte réveillent le malade échappé à la mort. Il demande quel est le motif de ce bruit extraordinaire et de cette affluence. Les assistants remplis de joie lui racontent aussitôt l’événement qui vient de se produire; ils lui présentent le fer qui avait causé tant de mal. Il n’osait croire à leurs paroles, s’imaginant que par une feinte ils avaient le dessein de le consoler dans la tristesse que lui inspiraient les approches de la mort. Son épouse accourt en ce moment et ne peut se lasser de se faire raconter les circonstances dans tous leurs détails, avant de croire complètement au prodige.

Que dira-je de plus? Il est entièrement guéri et il se dirige aussitôt vers Conques. Là il vient nous faire part de son immense bonheur; il nous raconte le miracle. Le peuple tout entier accourt; aussitôt on chante les louanges du Très-Haut, et, en souvenir du prodige, la flèche est suspendue sous le lambris (1).

[Nota a pag. 597]

(1) Qualis vultus erit talia corda gerit. Torna al testo ↑

[Note a pag. 598]

(1) Scevola. Torna al testo ↑

(2) Cassius Scéva, centurion, ayant perdu un œil et reçu plusieurs autres blessures, ne quitta point le poste dangereux qui lui avait été assigné par César, au combat de Dyrrachlum où Pompée lut victorieux. Torna al testo ↑

[Nota a pag. 599]

(1) V. la suite, p. 587. Torna al testo ↑