Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Supplément 3 – Manuscrit de Chartres

/601/ Latino →

II.

D’un Sarrasin qui, fait prisonnier, fut délivré par sainte Foy (1).

En rédigeant le recueil si abondant des miracles de sainte Foy, je m’efforce de rappeler à mon souvenir un fait qui semblerait absolument incroyable si le Seigneur, qui se proposait de glorifier les mérites de ses élus par de nombreux prodiges, n’avait! déclare que tout est possible à ceux qui croient en lui et n’avait dit: « Si vous dites à cette montagne: ôte-toi et jette-toi dans la mer, et si vous n’avez dans le ceur aucune hésitation, il vous sera fait selon votre parole (2),  » et: « Tout ce que vous demanderez en mon nom je vous le donnerai (3) ».

Dans la région de Jérusalem vivait un païen de race sarrasine, doué d’une valeur éprouvée dans les combats. Un jour que, dans une bataille, il s’était avancé dans une plaine nommée Aretha, à un mille environ de Damas, il fut d’abord favorisé par la fortune des armes; mais ensuite, par une disposition particulière de la Providence, qui éprouve les enfants bénis de Dieu et surtout par un dessein secret du Très Haut qui voulait glorifier la vierge et martyre sainte Foy, comme l’événement le montra clairement, il fut fait prisonnier avec un grand nombre de ses compagnons et emmené dans une ville appelée Galiba. Là il fut jeté en prison sous une forte garde et étroitement garrotté par une chaîne de fer. Cette chaîne, d’un poids extraordinaire, faisait plusieurs fois le tour de son cou et retombait pour envelopper dans de puissants circuits ses jambes et ses pieds. Ses geôliers exigeaient pour sa rançon quinze cents de ces pièces d’or que nous appelons vulgairement besants. Et, afin de lui extorquer plus promptement cette somme énorme, ils l’avaient privé, depuis trois jours, de tout aliment et de tout breuvage.

/602/ Or il se trouvait, en ce même endroit, mais hors du cachot, un autre prisonnier, originaire de l’Aquitaine, qui seul, entre tous les habitants de ce lieu, connaissait les merveilles de sainte Foy et était venu dans ce pays comme tant d’autres, pour guerroyer contre les infidèles. Voyant son compagnon de captivité si cruellement torturé, il lui raconta comment une vierge, nommée sainte Foy, était renommée en tout lieu par ses miracles, rendant la vue aux aveugles, guérissant les malades, délivrant les prisonniers, ressuscitant même les morts. Il l’engagea à implorer son secours, en l’assurant qu’il pouvait avoir confiance d’obtenir sa délivrance par les mérites de la sainte. L’infortuné, touché par ces paroles, se jette aussitôt à genoux, autant que pouvaient le lui permettre ses entraves, et adresse à la sainte la prière suivante:

« O bienfaisante vierge sainte Foy, dont la renommée est si glorieuse, jetez un regard sur mon malheur, si ce que l’on m’a dit de vous est véritable. Je vois que vous avez grand crédit auprès du Roi des rois. Puisque vous êtes favorisée d’une telle puissance, sauvez-moi, je vous en conjure. Délivrez-moi, de grâce, de ces chaînes qui m’écrasent. Je me rendrai à l’église, je demanderai le baptême, et je renoncerai au monde pour embrasser l’état monastique. Je fais vœu de me /603/ rendre, vêtu d’un cilice, en pèlerinage à votre basilique. Telles sont mes promesses, si vous m’accordez ma délivrance. »

A peine a-t-il terminé cette prière que ses chaînes se détachent de tous ses membres et le laissent libre de ses mouvements. Il s’agissait maintenant de sortir; là était le plus difficile. Ce cachot avait la forme d’un coffre; il était bardé de fer de tous côtés, et consolidé par des chaînes et des serrures de sûreté. De plus, la garde en était confiée à deux Sarrasins qui se tenaient au-dessus, nuit et jour. Mais le prisonnier, de plus en plus confiant en la puissance de sainte Foy, dirigea tous ses efforts sur la trappe du cachot; poussant de la tête et des épaules, il parvint à la forcer; il écarta en même temps ses gardiens. Il sortit alors, portant à la main comme un trophée ses énormes chaînes, et se dirigea vers la porte extérieure de la maison. L’ayant trouvée munie de ferrures inébranlables, il fit le tour de la maison, à là recherche d’une autre issue. Il finit par rencontrer une ouverture des plus étroites, fermée au dehors par une lourde pierre. Il réussit encore, à grands efforts, à repousser cet obstacle et put se glisser sain et sauf au dehors. Il se rendit aussitôt à une église qu’un frère, nommé Robert, avait élevée en l’honneur de sainte Foy sur les rives de l’Euphrate, et y déposa sa chaîne.

De retour à Jérusalem, il s’empressa d’exécuter la promesse qu’il avait faite à Dieu et à sainte Foy; il embrassa la foi chrétienne, et reçut au baptême le nom de Jean en échange de celui de Ferré, que lui avaient mérité sa force et sa vaillance. Il prit ensuite l’habit monastique et, vêtu d’un cilice, il se dirigea vers le monastère de Conques.

En passant à Constantinople, il rendit visite à l’empereur Michel (1) et lui raconta toutes les merveilles dont il avait était été l’objet. Tandis que tous deux s’entretenaient de ces prodiges, tout à coup se présente à l’improviste cet Aquitain qui avait été le compagnon de captivité de Jean, comme nous l’avons dit, et qui lui avait fait connaître dans sa prison les merveilles de sainte Foy. Il raconta au prince comment lui-même aussi avait été délivré de captivité par l’intervention miraculeuse de la sainte. L’empereur, frappé par les preuves manifestes de ces prodiges éclatants, félicita avec effusion les deux hommes et les renvoya pleins de joie de tant de faveurs.

Jean reprit la route de l’Aquitaine, et, parvenu au monastère de Sainte-Foy de Conques, il se répandit en actions de grâces pour un tel bienfait. Puis il fit le récit de toutes les faveurs dont il avait été comblé par la sainte, et en présence de nous tous, il suspendit, comme ex-voto du miracle, le cilice qui le couvrait, devant le tombeau de là sainte martyre.

[Note a pag. 601]

(1) On trouvera plus loin (p. 622) une version un peu différente de ce récit, fournie par le fragment de manuscrit que possèdent les archives de Rodez, et dont nous avons raconté l’invention récente. Torna al testo ↑

(2) Marc, xi, 23. Torna al testo ↑

(3) Jean, xiv, 13. Torna al testo ↑

[Note a pag. 603]

(1) Notre auteur désigne ici un des trois empereurs grecs qui portèrent, à cette époque, le nom de Michel: Michel IV, dit le Paphlagonien (1034-1041); Michel VI, le Stratiotique (1056-1057); Michel VII, Parapinace (1071-107S). Quant à Michel V, dit Calaphate, il ne régna que cinq mois (1041-1042). Torna al testo ↑