Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Supplément 3 – Manuscrit de Chartres

/603/ Latino →

III.

D’un certain Arnald, réduit en esclavage par les Sarrasins et délivré avec ses compagnons par sainte Foy.

Parmi les innombrables élus qui peuplent le ciel, quelques-uns, comme l’on sait, se distinguent par l’excellence de leurs mérites. Nous estimons que, entre ces /604/ derniers, la glorieuse sainte Foy brille au premier rang. Cette conviction n’est pas simplement le produit d’une vaine imagination ou d’une préférence partiale; elle est fondée sur la multitude des prodiges qu’elle opère et qui démontrent la supériorité de ses mérites. Nous choisissons un de ces miracles et nous en publions le récit, afin que l’éclat de cette merveille achève de lever tous les doutes au sujet de l’excellence de notre sainte.

Un homme, nommé Arnald, du bourg de Cardona (1), sur la frontière d’Espagne, ayant entendu célébrer les merveilles de notre martyre au-dessus de celles des autres saints, avait formé le projet de se rendre dans l’Aquitaine, auprès de son tombeau, pour y prier. Mais la rigueur de l’hiver, qui venait de se déchaîner, lui semblant trop pénible pour le voyage, il remit son pèlerinage à une saison plus favorable. Dans l’intervalle, les besoins du commerce l’attirèrent, avec quelques compagnons, en Espagne, dans une ville appelée Balaguer (2). Quand il eut terminé ses affaires, il reprit le chemin de sa patrie; mais il fut saisi et fait prisonnier avec ses amis par les infidèles. Ceux-ci les dépouillèrent de leur argent et se disposèrent à les emmener dans une région éloignée, afin de les vendre. Dans le partage des captifs, Arnald avec trois de ses amis échut à un groupe de quatre soldats. Ceux-ci se divisèrent. Deux d’entre eux prirent les devants, afin de chercher eu quel lieu ils pourraient trouver un prix plus élevé de leurs esclaves. Les deux autres demeuraient à la garde des captifs, l’un marchant devant, le glaive nu, l’autre, armé d’une lance, se tenant derrière les prisonniers. Les quatre prisonniers étaient attachés à une même chaîne de fer qui entourait leur cou dans des circuits fortement noués; leurs mains étaient liées par des menottes de fer. Arnald et ses compagnons étaient ainsi traînés inhumainement sur les chemins. Or il advint qu’après une longue marche, captifs et geôliers brisés de fatigue s’endormirent au milieu du chemin. Tandis qu’ils étaient plongés dans un profond sommeil, sainte Foy apparut à Arnald et lui dit:

« Tu dors, Arnald?

— Qui êtes-vous? répondit-il.

— Je suis, répliqua-t-elle, la martyre Foy, dont tu te proposais de visiter le tombeau. Lève-toi, et délivre avec toi tes compagnons de chaîne. Apprends que je t’ai délivré le premier; j’ai brisé la chaîne qui enserrait ton cou et j’ai ouvert tes menottes. »

Quand la vision fut évanouie, les infidèles se réveillèrent, firent lever les captifs et les forcèrent de se remettre en marche. Durant la route, Arnald raconta la vision à ses amis et leur persuada qu’il ne fallait nullement désespérer, mais implorer la sainte. Dans l’ardeur de sa confiance, il voulait se jeter seul sur les deux brigands; mais ses trois compagnons lui donnèrent le sage conseil de se retenir; et d’attendre l’heure du repas, quand leurs mains auraient été déliées. Ils craignaient qu’Arnald ne pût seul tenir tête aux deux Sarrasins. Ils arrivèrent ainsi près d’une fontaine; on leur délia les mains pour leur permettre de prendre leur repas. Quand ils se furent assis, Arnald, dont le cou et les mains étaient libres, soupira du fond de son âme et adressa avec larmes, du cœur et des lèvres, l’invocation suivante et d’autres semblables à sainte Foy.

« C’est maintenant, ô vierge secourable, que vous devez nous assister dans notre malheur. Agréez nos prières, accordez-nous votre aide miséricordieuse. Qui- /605/ conque vous adresse ses vœux suppliants ne tarde pas à ressentir l’effet de votre secours. Vous donnez la force aux faibles, la guérison aux malades. Nul ne demeure dans le besoin s’il vous implore avec ferveur. Nous sommes tout tremblants, donnez-nous la force et rendez-nous à la liberté; brisez ces chaînes sous lesquelles nous gémissons. »

Quand il eut ainsi prié, soupirant plus encore du fond de son cœur, il se leva, animé de la plus vive confiance en la puissance de la sainte, se jeta sur la lance du Sarrasin qui marchait derrière, et lui en porta un coup terrible qui lui transperça le visage. Le blessé tombe; l’un des captifs, nommé Bonfils, le frappe du pied si vigoureusement à la gorge qu’il lui coupe la parole. Les deux autres se jettent sur l’infidèle et l’achèvent. Le Sarrasin survivant, celui qui était porteur du glaive, voyant le sort infligé à son compagnon, saute sur sa mule et se sauve en toute hâte. Alors Arnald pénètre dans un bois avec ses amis dont le cou était toujours rivé à la chaîne; là il brise leurs liens.

Libres désormais, ils reviennent sur leurs pas et arrivent sur les bords de la rivière d’Ebre (1), qu’ils avaient passée en bateau lorsqu’ils étaient emmenés eu captivité. Mais ils ont soin d’éviter le port, de crainte d’être reconnus. Ils se dirigent donc sur un autre point, en se recommandant à leur sainte protectrice. Là Bonfils, l’un d’eux, charge ses compagnons l’un après l’autre sur ses épaules et les dépose sur la rive opposée. De là il leur fallut encore huit jours de marche pour traverser les pays soumis aux infidèles. Grâce à la protection de sainte Foy, qu’ils ne cessaient d’invoquer, leur retour à travers ces pays s’effectua sans le moindre accident; on les prit pour des habitants de la région; ils parvinrent enfin en pays chrétien. De retour dans leur patrie, ils se rendirent en pèlerinage à la basilique de leur libératrice, portant leur chaîne et l’enroulant autour de leur cou, avec une profonde humilité. Tous venaient contempler ce spectacle touchant. Les captifs libérés offrirent à la sainte leurs actions de grâces et laissèrent leur chaîne à son tombeau.

[Note a pag. 604]

(1) Cardona, Gardona, 3.000 habitants, place forte avec château fort, vers le centre de la Catalogne. Cette ville est mentionnée dans le Cartulaire. (Introd. p. CXVII. – nº 467.) Torna al testo ↑

(2) Balagner, Balegaris, place forte de 6.000 habitants, à l’ouest de la Catalogne, non loin de Lérida. Torna al testo ↑

[Nota a pag. 605]

(1) L’Ebre, Iberis, qui coupe en deux, du N.-O. au S.-E. la province d’Aragon et se jette dans Méditerranée, à l’extrémité méridionale de la Catalogne. Torna al testo ↑