Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy

/607/ Latino →

4º Récits spéciaux au Manuscrit de Londres (1)

I.

De deux paysans délivrés de la captivité des Arabes.

Notre langue serait bien coupable, à notre avis, si elle se refusait à raconter ce que la bonté de notre Créateur daigne opérer pour glorifier notre grande sainte.

Un paysan, nommé Gumfred, habitant du bourg de Girone (2), travaillait à la culture des vignes, avec un compagnon nommé Raymond, qu’il s’était associé, lorsque tous deux furent faits prisonniers par les Sarrasins et emmenés dans la ville de Tortose (3).

Telle est en effet la méchanceté des Arabes que cette race a la réputation universelle d’être; non seulement celle du monde qui commet les plus grands crimes, mais encore la plus dépravée dans ses inclinations et dans ses appétits. C’est au sujet de telles; natures que le poète Horace a émis cet adage: « Il sera aussi âpre à la curée qu’un chien de chasse (4). » De même ces êtres dégradés, comparables à des brutes, ne reculent devant aucun forfait pour satisfaire leur soif du lucre le plus odieux. Si quelqu’un a de la peine à croire à tant de perversité, il pourra s’en convaincre par l’exemple suivant.

Nos deux prisonniers, durant quatre ans environ, demeurèrent chargés de chaînes et furent appliqués tous les jours à de rudes travaux publics. La nuit, accablés sous le poids des fers, ils étaient enfermés dans une fosse profonde, dans une sorte d’antre où ils étaient étroitement gardés, comme des ours. Accablés de mauvais traitements, épuisés par la fatigue des veilles prolongées, ils passaient souvent la nuit dans l’insomnie, en attendant les dures souffrances du lendemain. Gumfred, qui connaissait la puissance merveilleuse de sainte Foy, ne cessait de l’invoquer; bien souvent il l’adjurait à grands cris d’avoir pitié de son sort:

« O vierge sainte Foy, disait-il, si digne d’être célébrée, si glorieuse parmi les saints, illustre martyre d’un mérite si éclatant, épouse immortelle du Roi éternel, exauce les prières que nous t’adressons, délivre-nous de cette prison ténébreuse, arrache-nous à la captivité de cette engeance digne des éternels châtiments. »

Tandis que les prisonniers subissent un traitement si barbare et si injuste, arrivent les calendes de février, jours de fête célébrés par les Sarrasins avec des rites païens et abominables. Exaltés par l’orgie des réjouissances où ils se sont plongés, ces barbares forment le projet de passer les prisonniers au fil de l’épée. En attendant, tout entiers à leurs plaisirs, ils courent avec avidité se repaître des bouffonneries de leurs histrions. Par une permission de Dieu, due aux mérites de sainte Foy, il arriva que le gardien de la prison, ne voulant pas se priver de la fête, s’aban- /608/ donna à l’ivresse et au sommeil, et oublia de fermer la porte du caveau où étaient renfermés les deux chrétiens. C’est alors que Gumfred, averti en songe, adressa ainsi la parole à son compagnon:

« Après avoir invoqué avec ferveur la protection de sainte Foy dans notre malheur, nous n’avons plus maintenant qu’à nous sauver au plus vite d’ici sous sa conduite. Elle-même me l’a recommandé, je te l’affirme; secouons notre torpeur, employons tous nos efforts à nous assurer la liberté. »

Aussitôt ils voient toutes les chaînes et les entraves dont ils étaient chargés tomber miraculeusement, après qu’ils eurent imploré la sainte. Ce prodige leur fournit le premier moyen de sortir de ce sombre tombeau. Se voyant libres, ils se dirigent vers le dehors, résolus à affronter tous les périls. Ils préfèrent perdre la vie en suivant les indications du ciel que rester ainsi sous la menace incessante d’une mort cruelle. Tandis qu’ils marchent plein de joie, en s’encourageant mutuellement par la considération de la miséricorde divine, tout à coup l’allégresse fait place à une subite épouvante. Si la sainte en effet n’accourt promptement à leur appel, nul doute que leurs efforts ne soient inutiles. Ils aperçoivent au loin des cavaliers qui courent à la recherche des fugitifs, et aussitôt ils implorent le secours de leur puissante conductrice. Puis ils se séparent pour plus de sécurité et courent chacun de son côté; mais ils sont forcés de s’arrêter. Gumfred trouve à s’abriter dans le creux d’un rocher, y passe le reste de la journée et profite de la nuit pour reprendre sa marche. Dès que la lumière, dangereuse pour lui, vient à luire, il se cache de nouveau dans quelque retraite et attend les ténèbres pour continuer sa course. Le troisième jour, il arrive à Tarragone (1); là, les chrétiens l’accueillent avec toutes sortes d’égards. N’ayant pris aucune nourriture depuis deux jours, il était complètement épuisé; on s’empressa de le rétablir en lui donnant toutes sortes d’aliments. De ce lieu, il se dirigea d’abord vers sa patrie afin de rassurer sa famille sur son sort. Puis il se disposa à se rendre auprès de sainte Foy pour lui témoigner, suivant son pouvoir, sa légitime reconnaissance. Nous l’avons vu ici nous-mêmes et sa visite nous a comblés de joie.

Quant à son compagnon, le pèlerin ignorait ce qu’il était devenu. Mais on peut être rassuré sur le sort de ce protégé de la sainte, lors même qu’il lui fût resté peu fidèle. Puisque notre puissante vierge le favorisa d’une protection si constante, elle ne put permettre qu’il retombât dans sa première infortune.

[Note a pag. 607]

(1) V. plus haut, p. 431. Torna al testo ↑

(2) Girone ou Gérone, Gerundensis pagus, ville de la province de nom, en Espagne, Catalogne. Torna al testo ↑

(3) Ville d’Espagne, dans la province de Tarragone, en Catalogne. Torna al testo ↑

(4) Horace, Sat. II, 5. Torna al testo ↑

[Note a pag. 608]

(1) Tarragone, Terracona, ville d’Espagne, chef-lieu de la province du même nom, en Catalogne. Torna al testo ↑