Bouillet Servières
Sainte Foy
Vierge et Martyre

Livre des Miracles de Sainte Foy
Supplément 4 – Manuscrit de Londres

/608/ Latino →

II.

D’un certain Pierre qui fut délivré de sa chaîne et de ses liens.

Cet écrit a pour mission de révéler au monde les mérites incomparables de notre vierge, à la gloire de notre créateur dont la puissance merveilleuse éclatera dans ce grand prodige.

Un jour un chevalier, dont le nom m’échappe, du château qui porte en langue vulgaire le nom de Najac (2), ayant tendu des embûches à ses ennemis, tomba lui- /609/ même dans leurs pièges, tant il est vrai que celui qui tend des pièges aux autres risque d’y tomber lui-même, ne prenant pas garde à ceux qu’on lui prépare (1). Notre chevalier, fait prisonnier par ses ennemis, fut fortement enchaîné et emmené aussitôt au château qui porte le nom de Montirat (2). Là il est étroitement lié par des entraves d’une force extraordinaire et chargé d’une chaîne énorme. Se voyant dans ce triste état et convaincu que la mort né tarderait pas à être le résultat de ce supplice incessant, il ne cesse d’invoquer sainte Foy et d’implorer de tout son cœur sa délivrance. Après avoir persévéré quelque temps dans sa prière, ne voyant arriver aucun secours, il perdit courage. Telle est en effet la pratique de plusieurs: lorsqu’ils ont un vif désir dans le cœur, ils s’appliquent à prier pour sa réalisation avec une ferveur incomparable; mais, croyant leurs efforts inutiles, ils se retournent tout d’un coup et ne font plus aucun cas de ce qu’ils avaient jusque-là convoité si ardemment. C’est ainsi que notre prisonnier, pressé par l’abattement, ne sut pas persévérer dans l’accomplissement de sa démarche. Il hésite et se demande ce qu’il faut faire; il pense avec inquiétude à sa délivrance. La foi, dont le cri arrive jusqu’au ciel, n’avait pas imprimé dans son cœur des traces assez profondes, car, selon l’usage de ses pareils, il avait dejà détourné son esprit de Dieu.

Or, la nuit suivante, pendant son sommeil, la glorieuse vierge lui adressa l’avertissement suivant:

« J’ai vu avec satisfaction que la douleur de ta cruelle situation t’a suggéré la bonne pensée de me prier avec ferveur. Mais puisque ta constance s’est démentie au-delà de toute mesure, je pense que tu n’auras pas grande confiance dans le succès de ta démarche. Cependant la ferveur du commencement rachètera la tiédeur qui a suivi. Lève-toi donc promptement et sors d’ici en toute sécurité. »

A son réveil, il ne fait pas grand cas de cet avis et se rendort. La bienfaisante vierge se présente à lui et de nouveau lui adresse le même avertissement de se sauver et de d’avoir aucune crainte des hommes. Mais lui ne se rend pas compte de la sublimité d’une telle vision et ne se met pas en peine, comme il l’aurait dû, de sa délivrance. La sainte n’abandonnera pas néanmoins sa bienfaisante entreprise, afin que l’issue de son œuvre proclame sa gloire. Une troisième fois, elle revient à la charge d’un ton de reproche et ne craint pas d’importuner le captif en lui renouvelant la recommandation de se sauver. Cette fois le prisonnier, en s’éveillant, a la conscience d’un si grand bienfait, comprend que le secours est arrivé et délibère en lui-même sur ce qu’il doit faire. Or, tandis qu’il s’entretient dans ces pensées, que mille projets se croisent dans son esprit et que, dans son inquiétude, il ne sait plus à quoi se résoudre, il sent tout à coup son pied droit entièrement délivré de ses entraves et libre de ses mouvements. Alors il dresse l’oreille et tourne ses regards dans toutes les directions. Précaution bien inutile, puisque la nuit couvrait encore tout de ses ténèbres. Enfin il ne diffère plus d’agir; mais sa tentative sera vaine si la glorieuse vierge n’intervient elle-même par sa puissance. Sept gardes en effet l’entouraient de tous côtés, le surveillaient étroitement et l’empêchaient de mettre son projet à exécution. Mais il est d’expérience que quiconque place en notre sainte sa confiance éprouve l’effet de sa protection. Les gardes étaient ici en nombre impair; ce qui marquait leur impuissance, comme il arriva pour un des lévites.

/610/ Muni du secours d’en haut et de la protection constante de la glorieuse martyre, il se lève aussitôt de sa couche, et, portant à la main ses entraves détachées, il s’empare de la clef de sa chaîne: il avait peut-être remarqué l’endroit où on l’avait posée; d’ailleurs celle qui l’a pris sous sa protection le guide et l’aide en toute chose. Aussitôt il ouvre la serrure de sa chaîne et, toujours portant ses entraves, il descend hardiment par une échelle tressée avec des verges de coudrier. Puis il court se cacher, pour le reste de la nuit, dans l’épaisseur d’un bois voisin, attendant de régler sa conduite d’après les circonstances. Lorsqu’ils s’aperçurent de l’évasion de leur prisonnier, les gardes, tremblants pour eux-mêmes, se mettent en devoir d’explorer tous les recoins de la forêt, à l’aide de lanternes et de torches. Ils passent ainsi toute la nuit sans sommeil, employant tous leurs efforts à paralyser l’effet de l’intervention divine. Enfin, voyant leurs recherches entièrement vaines ils retournent à l’endroit d’où ils étaient partis. Alors notre évadé saisit un caillou et brise l’entrave qui tenait attaché l’un des pieds; puis il continue son chemin. Il arrive ainsi, le cœur rempli de joie, au glorieux tombeau de sainte Foy, et nous offre en ex-voto ses énormes chaînes. Après avoir satisfait, comme il convenait, à son vœu et à sa dévotion, il reprit avec allégresse le chemin de son pays.

[Note a pag. 608]

(2) Château de Najac, Nagiacum castellum, Najac, chef-lieu de canton de l’arrondissement de Ville-franche, Aveyron, était un des sept bailliages de Rouergue et le siège d’une châtellenie royale (Cf. Bosc, Mém. p. 368; – de Barrau, Documents hist. et généal., II, p. 572). Il en subsiste des ruines imposantes. Torna al testo ↑

[Note a pag. 609]

(1) Cf. Prov., xxvi, 27. – Eccle., x, 8. Torna al testo ↑

(2) Château de Montirat, Montis Irati castrum, dans la commune du même nom, canton de Monestiès, arrondissement d’Albi, Tarn, non loin de Najac, sur les rives escarpées du Viaur. Les seigneurs de Montirat ne sont cités qu’à la fin du xie siècle. L’ancien château a complètement disparu. Torna al testo ↑