Desjardins
Cartulaire de Conques

Introduction

/vij/

Sainte Foi d’Agen à Conques.

Translation des reliques de S. Vincent de Saragosse à Castres. — Le transport de sainte Foi d’Agen à Conques étant lié à celui de saint Vincent de Saragosse à Castres, il est nécessaire de dire un mot de ce dernier.

D’après le témoignage d’Aimoin8 un moine de Conques, /viij/ Audaldus, apprit, vers 855, d’un Espagnol nommé Berta, que le corps de saint Vincent de Saragosse était demeuré à Valence et qu’il paraissait facile de s’en emparer. Audaldus eut l’idée d’enrichir son couvent de ces précieuses reliques. Il partit, arriva sans encombre à Valence, enleva les restes du martyr et reprit le chemin de la France. Il portait le corps dans un sac, afin de ne pas attirer l’attention. La nuit seulement, il rendait à ces reliques un hommage secret, en psalmodiant devant elles, à la lueur d’un cierge. Comme il séjournait à Saragosse, une femme le vit prier ainsi et le dénonça à l’évêque Sénieur. Celui-ci fit saisir le sac et arrêter le moine. Interrogé, Audaldus commença par déclarer qu’il emportait le cadavre d’un parent, pour lui donner la sépulture dans son pays. Mis à la torture, il finit par avouer que le corps était celui d’un saint, mais donnant aussitôt le change à ses bourreaux, il soutint que ce saint était un martyr du nom de Marin. On le relâcha alors, sans lui rendre les reliques. Revenu à Conques, il raconta ses aventures à ses confrères, qui ne voulurent pas y croire, le traitèrent d’imposteur et le chassèrent.

Pendant que le corps de Vincent de Saragosse se trouvait sous un nom supposé dans la patrie même du martyr, Usuard, l’auteur du martyrologe, entreprit le voyage de Valence pour chercher également les reliques de ce saint, principal patron de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés dont il était moine. L’évêque d’Uzès et des habitants de Viviers lui ayant dit, d’après des renseignements inexacts, que les restes sacrés avaient été transportés à Bénévent, il renonça à son projet et se borna à prendre à Cordoue des corps de martyrs de Abd al-Rahman III 889-961, emiro poi califfo di Cordova la persécution d’Abdérame. De son côté, Audaldus, renvoyé de Conques, vint demander un asile à l’abbé de Castres, Gislebert, qui le reçut, ajouta foi à ses paroles, et le mit en rapport avec Salomon, comte de Cerdagne. Celui-ci obligea l’évêque Sénieur à restituer le faux saint Marin, et le martyr de Saragosse, quittant sa propre ville natale, vint illustrer de sa présence l’abbaye de Castres. Les moines de ce monastère /ix/ donnerent, au xiie siècle, à SaintGermain-des-Prés une partie de la mâchoire de saint Vincent.

Translation des reliques de sainte Foi d’Agen à Conques. — Les reliques de S. Vincent de Saragosse attirèrent bientôt à Castres un immense concours de pèlerins. Le Rouergue eu envoya, comme les autres pays circonvoisins, et la chronique d’Aimoin dit qu’ils furent récompensés de leur foi par des miracles éclatants. Les moines de Conques purent alors se repentir d’avoir laissé échapper un pareil trésor. Ils songèrent à le remplacer, et jetèrent les yeux sur un autre saint Vincent, dont le corps était déposé à Pompejac, dans le diocèse d’Agen. Ils l’acquirent, on ne sait de quelle manière1.

En allant chercher ces reliques, leurs émissaires apprirent qu’une église du faubourg d’Agen conservait celles d’une jeune fille martyre, la vierge Foi, dont la mémoire était en grande vénération. L’un d’eux, Ariviscus, se fit recevoir parmi les prêtres auxquels la garde du tombeau de cette sainte était confiée. Il capta leur confiance, et profitant du désordre des fêtes des calendes de janvier, il brisa le tombeau pendant la nuit, s’empara du corps de sainte Foi et l’emporta à Conques.

Les Bollandistes ont publié deux récits de la translation de ces reliques, l’un en vers, l’autre en prose2. Le P. Ghesquier, rédacteur de la notice de sainte Foi, remarque que le récit en prose mentionne la construction d’une église à Conques par l’abbé Etienne Ier, évêque de Clermont, et un prodige qui aurait empêché le transport des reliques dans la basilique nouvelle. Il pense que cet événement a pu se passer vers 937. Il ajoute que le monument, bâti par Etienne, fut remplacé, vers 1035, par l’église qui existe encore aujourd’hui. Comme le narrateur en prose ne parle pas de cette dernière, son récit serait nécessairement antérieur à la construction de 1035 et se placerait entre cette date et 937.

/x/ Le P. Ghesquier passe ensuite à l’examen du poème et note qu’aucune allusion n’y est faite à la tentative infructueuse de l’abbé Etienne pour placer les reliques dans l’église élevée par lui. Il en conclut que ce récit en vers est antérieur à 937.

Toute cette argumentation est seulement spécieuse. Si, sans se préoccuper de la circonstance relevée par les Bollandistes, on examine la version en prose, on se convainc qu’elle n’est qu’une amplification en périodes cicéroniennes du poème. Sur le vol des reliques elle ne fournit pas un détail de plus que ce dernier. Elle est écrite dans ce latin de la Renaissance si facilement reconnais-sable, émaillé, comme le français de Ronsard, d’expressions grecques, et qui témoigne d’une érudition fort au-dessus de la portée d’un moine de la fin du xe siècle1. Il saute aux yeux qu’elle n’a pu être écrite qu’au xvie siècle. Quant à la mention du transport des reliques fait par Etienne, qui a frappé le P. Ghesquier, l’auteur du récit en prose a dû l’emprunter à → vedi Gesta Abbatum un passage tronqué et obscur de la chronique de Conques2: hic denique ecclesiam de Roffiaco, cum suis pertinentiis et plures villas in pago Arvernico beatæ Fidi concessit; atque ejusdem gloriosæ virginis et martyris..... auctor extitit, ubi quoque partem ipsius capitis venerabiliter reposuit, multaque alia beneficia, ut legitur, monasterio suo contulit. On voit qu’il manque un mot. Dom Martène propose translationis qui ne va point avec la phrase complémentaire: ubi quoque, etc. Le rédacteur des actes de la translation a comblé la lacune par ecclesiæ. Capsæ ou statuæ me paraîtrait encore meilleur. Je ne doute pas en effet qu’il ne s’agisse ici de la statue de sainte Foi, conservée dans le trésor, et qui a bien le caractère d’une œuvre d’orfèvrerie du xe siècle.

La forme du poème donne à penser qu’il a été composé au xe /xj/ ou plutôt au commencement du xie siècle. L’époque que son auteur assigne à l’arrivée de sainte Foi à Conques n’est pas exacte. Elle aurait eu lieu, d’après lui, sub Carolo minore, que les Bollandistes traduisent par Charles le Gros. Mais le cartulaire tranche la question sans objection possible. Dans le préambule d’une charte datée ainsi: Actum die martis, III kalendas augusti, anno IIII, Carlomanno II 866-884, re d’Aquitania dall’879, re di Francia dall’882. regnante Karlomanno rege, on lit: Locum sanctum sancte Dei ecclesiæ, Conchas monasterii, qui est constructus in pago Rutenico super fluvium Dordonis, fundatus in honore sancti Salvatoris, ejusdemque sanctæ hac perpetuæ virginis Maries, et sancti Petri, regni cœlestis clavigeri, hubi sanctus Vincentius et sancta Fides tumulati quiescunt... La translation était donc un fait accompli le 30 juillet 883. Comme elle est postérieure au transport du corps de saint Vincent de Saragosse à Castres, qui fut effectué en 863, on peut dire qu’en 883 la présence des reliques de sainte Foi à Conques était toute récente. Elle n’est pas mentionnée dans une donation faite à l’abbaye par Bernard II Plantevelue, comte d’Auvergne, donation dont la date est incertaine, mais qui paraît peu antérieure à 8781.

Livre des miracles de sainte Foi. — Ainsi qu’on vient de le voir par la charte du 30 juillet 883, l’abbaye de Conques avait été placée sous l’invocation du Sauveur, et après lui, les deux principaux patrons étaient Notre-Dame et saint Pierre. On leur adjoignit saint Vincent et sainte Foi. Saint Vincent est d’abord nommé le premier, puis il cède le pas à sainte Foi qui finit par attirer seule les regards. Pendant quelque temps encore on dit: l’abbaye de Saint-Sauveur et de Sainte-Foi de Conques; à la fin du Moyen-Age, elle n’est plus connue que sous le vocable de Sainte-Foi. C’est au xie siècle que la dévotion à la vierge d’Agen atteint son plus haut période. Il nous en reste un monument curieux dans le Livre des Miracles de sainte Foi.

/xij/ Tel qu’il nous a été transmis, cet ouvrage a subi de nombreux remaniements, interpolations et additions. Cependant par la comparaison avec les chartes qui nomment plusieurs des personnages désignés dans les récits de miracles, on peut constater que le fond, sinon la forme, du texte remonte au temps du roi Robert. Je signalerai ces rapprochements dans l’analyse des pièces du cartulaire.

La première édition du Livre des Miracles fut donnée par le P. Labbe1. Le texte est divisé en chapitres de proportions différentes. Mabillon2 y ajouta, d’après un manuscrit de Chartres, un prologue qui contient une dédicace, adressée à Fulbert, évêque de Chartres de 1007 à 1029, par Bernard, écolâtre d’Angers. — A la fin du siècle dernier, les Bollandistes3 publièrent une seconde édition conforme à un manuscrit du Vatican. Les récits y sont groupés en trois livres, encadrés entre un prologue et un épilogue. Elle présente un plus grand nombre de miracles que le texte du P. Labbe4.

Le caractère général du style est tellement semblable à celui de la version en prose de la translation de sainte Foi, dont j’ai parlé plus haut, que, à première vue, on serait tenté de l’attribuer au même auteur. Cependant, on pêche ça et là, noyés dans ces flots de latinité classique, quelques mots barbares, épaves d’un texte plus ancien. On a vu que dans le préambule, l’écrivain se nomme. En poursuivant la lecture, on rencontre ces mots5: cujus mentionem si in pressenti epistola non fecerim, qui ne répondent guère à la division actuelle du récit en livres et en chapitres. Les Bollandistes relèvent en outre les expressions suivantes: nostrum monasterium, nostro in vico etc., et remarquent que c’est là le langage d’un moine /xiij/ de Conques et non d’un écolâtre d’Angers. De ce qui précède on doit conclure que l’ouvrage en question est un monument hybride, formé de vieilles légendes, de lettres de Bernard à l’évêque Fulbert, amalgamées par un moine de Conques, au xvie siècle, et mises sous l’étiquette de l’écolâtre du xie.

V. Corrections p. VII On me signale, au dernier moment, un manuscrit de la bibliothèque de Schelestadt, composé de plusieurs fascicules écrits à diverses époques, qui contiendrait un texte des Miracles de sainte Foi et de la Translation en prose de ses reliques antérieur au xvie siècle. Je me propose d’aller l’étudier prochainement sur place et de faire connaître le résultat de cet examen aux lecteurs de la Bibliothèque de l’École des chartes.

Culte de sainte Foi. — Quoi qu’il en soit de son authenticité, le Livre des Miracles peut servir à nous faire une idée du culte qui était rendu à sainte Foi et du concours de pèlerins que la présence de ses reliques attirait à Conques. L’imagination populaire se la représentait, d’après des récits d’apparitions, sous la figure d’une vierge adolescente, admirablement belle, à l’aspect angélique, la tête couronnée de perles. L’une de ces visions donnait sur son costume des détails circonstanciés: elle avait une robe dont l’étoffe, très-ample, tissue d’or, et brodée de couleurs variées, formait une multitude de plis autour de son corps; les manches pendaient jusqu’à terre. Quand on entrait dans l’église de l’abbaye, on voyait au milieu du chœur, entourée de cierges innombrables brûlant jour et nuit, sa statue en or, étincelante de pierreries, ornée du diadème et assise sur un siège royal.

Dans certaines occasions solennelles, les moines allaient au loin offrir ses reliques à la vénération des populations. Le Livre des Miracles nous les montre trônant aux synodes diocésains dans la plaine de Saint-Félix1, parmi celles des saints patrons du Rouergue qui leur rendent hommage2. Elles furent promenées à Molompise (Cantal), dans une procession mémorable, au son des trompettes, comme l’arche d’alliance. L’empressement des populations à les posséder fut tel que les moines, dans la crainte de se voir enlever ce trésor, durent s’armer d’une bulle pour résister aux injonctions quelquefois violentes qui leur étaient faites de les porter hors du monastère3.

Torna su ↑

[Note a pag. vij]

8. Act. SS. Bened. sæc. IV, part I, p. 643. Torna al testo ↑

[Note a pag. ix]

1. Bolland. Acta Sanct.. Jun. t. II, p. 163, et Octob., t. III, p. 278. Torna al testo ↑

2. Act. Sanct. Octob, t. III, p. 289 et 294. Torna al testo ↑

[Note a pag. x]

1. Librarios philochristos... themata recte vivendi... sophismatis stemate... celeumata exercendo... septentrionale clima... litterarum anaglypha... poliandrum sacræ virginis... chaire stella etc., etc. Torna al testo ↑

2. On verra plut loin que cette chronique a été écrite vers l’an 1100. Torna al testo ↑

[Note a pag. xj]

1. Cartul., no 153. Torna al testo ↑

[Note a pag. xij]

1. Nova bibliotheca manuscriptorum, t. II, p. 531. Torna al testo ↑

2. Annal. Bened., t. IV, p, 703. Torna al testo ↑

3. Acta Sanct. Octob., t. III, p. 287. Torna al testo ↑

4. Les PP. Labbe, Ghesquier et Mabillon citent quatre manuscrits des Miracles de sainte Foi. Il en existait un cinquième plus développé encore que celoi des Bollandistes (Dom Vaissète, Hist. du Languedoc t. II. Preuves, p. 6). Torna al testo ↑

5. → Ed. Bouillet 1, 2 Texte des Bollandistes. Livre I, ch. II. Torna al testo ↑

[Note a pag. xiij]

1. → Ed. Bouillet 1, 28 Près de Rodez. Edit du P. Labbe, ch. VIII. Torna al testo ↑

2. → Ed. Bouillet 1, 29 S. Marius, sollicité d’une guérison, renvoie le malade à sainte Foi. Ibid., chap. IX. Torna al testo ↑

3. Cartul., no 570. Torna al testo ↑