Desjardins
Cartulaire de Conques

Introduction

/iij/

Origine de l’abbaye de Conques.

Un diplôme de Louis le Débonnaire, daté de 819, contient les détails suivants: pendant l’invasion des Sarrasins qui dévastèrent le Rouergue, des chrétiens s’étaient réfugiés à Conques et y avaient élevé un petit oratoire, qui fut ensuite abandonné. Au temps de Charlemagne, un ermite, Dadon, le releva. Sa sainteté attira auprès de lui des prosélytes, dont le nombre fut bientôt assez considérable pour qu’on bâtît un monastère. Louis le Débonnaire prit sous sa protection le nouveau couvent, le /iv/ visita, le dota et y établit, avant 801, la règle de saint Benoît1.

Ces renseignements sont reproduits avec une variante dans un diplôme de Pépin d’Aquitaine, en 8392. D’après lui, ce ne sont plus les chrétiens, fuyant devant les Sarrasins, qui construisent une église, abandonnée ensuite; l’existence de la localité était antérieure à l’invasion, les infidèles la détruisirent et Dadon l’aurait relevée. Celte dernière tradition devint celle de l’abbaye, avec deux modifications nouvelles, introduites aux xe-xie siècles: on supposa que l’église était, avant sa destruction, attenante à un monastère, et l’on fit intervenir directement Charlemagne dans sa restauration.

Est istud monasterium

Inter prærupta montium,

Consistens in suspendio

Quod respicit septentrio.

Sed quando huc pervenimus,

Placet nobis expressius

A primo quidem tempore

Loci situm esponere.

Illic quædam ecclesia

Primum fundata fuerat

Quam devastavit funditus

Sarracenorum impetus.

Sed, evoluto tempore,

Illic vir, Dado nomine,

Præclarus ipse moribus,

Vivebat solitarius.

Hujus precatu Carolus,

Magnus rex, est submonitus

Ut Conchas monasterium

Repararet potissimum3.

A peine construite, l’abbaye de Conques fut enrichie de privilèges par Louis le Débonnaire, Pépin d’Aquitaine et Charles le Chauve. Une bulle de 10994 nomme ces souverains dans l’ordre /v/ suivant: Pépin, Charles, Louis: Per præsentis privilegii paginam, apostolica auctoritate, ut quecumque hodie idem cenobium, vel ex Apostolice Sedis concessione, vel ex bone memorie regum Pippini, Karoli et Ludovici munificentia possidet, ... firma tibi tuisque successoribus et illibata permaneant. De là à prendre Pépin et Charles pour Pépin le Bref et Charlemagne il n’y a qu’un pas, qui fut bientôt franchi. D’un autre côté, l’imagination aidant, l’établissement, réputé détruit par les Sarrasins, prit des proportions colossales, et l’on en arriva à créer de toutes pièces une légende extraordinaire, qu’on lit en tête de la chronique de Conques dans la collection Doat1. En voici le résumé: dès les premiers temps du christianisme, les montagnes du Rouergue auraient été une Thébaïde occidentale. Les solitaires étaient dejà si nombreux en 371, que les payens pouvaient, cette année, en massacrer un millier avec leur archimandrite. Ces martyrs sont remplacés par de nouveaux moines que les Francs, conduits en Aquitaine par Théodebert, exterminent, au vie siècle. Un troisième monastère sort de cette terre féconde, mais il n’est pas plus heureux: en 730, les Sarrasins n’en laissent ni une pierre debout, ni un habitant vivant. Enfin Pépin le Bref clôt cette ère de démolition et d’égorgement. Il rebâtit une quatrième abbaye. Celle-ci devient bientôt si considérable que Charlemagne, pour marquer qu’elle est le premier de tous les monastères royaux, lui envoie un reliquaire en forme d’A, première lettre de l’alphabet, etc.2.

On essaie aujourd’hui de remettre en honneur ces fables, dont l’invraisemblance éclate à tous les yeux. Je pense qu’il est superflu d’en entreprendre la réfutation. Le récit qui nous les a conservées paraît, par la forme de la latinité, contemporain de la Renaissance. C’est à cette époque seulement qu’on l’a soudé à la /vj/ chronique. Cette dernière remonte à la fin du xie siècle et présente une valeur historique sérieuse1. Elle fournit la liste des abbés qu’elle fait, comme le diplôme de Louis le Débonnaire, commencer seulement à Dadon, contemporain de Charlemagne.

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[Note a pag. iv]

1. Cartulaire, nos 580 et 1. Torna al testo ↑

2. Cartulaire, no 581. Torna al testo ↑

3. Bollandistes, Acta Sanctorum, Octob. t. III, p. 289. Torna al testo ↑

4. Cartul. no 570. Torna al testo ↑

[Note a pag. v]

1. Doat 143. Elle a été publiée par M. de Gaujal, Etudes historiques sur le Rouergue, 2e édit., 4 vol. in-8o. Torna al testo ↑

2. Ce reliquaire, d’après le caractère de l’orfèvrerie, ne remonte pas plus haut que le xie siècle. Darcel, Annales archéol., t. XX, p. 264. Torna al testo ↑

[Note a pag. vj]

1. Elle a été éditée par Dom Martène, Thésaurus anecdotorum, t. III. Torna al testo ↑