Liber Miraculorum
Sancte Fidis
ed. Bouillet 1897

Préface

/XXV/

IV

De cet examen de nos divers manuscrits, il ressort que celui de Schlestadt est le plus important de tous, et parce qu’il renferme le plus grand nombre de miracles, et parce que, jusqu’à ce jour, il est resté non utilisé. A ce double titre, il a fourni la base de notre publication. Il ne sera donc pas sans intérêt d’en faire connaître plus longuement les caractères généraux.

Le recueil de Schlestadt provient du prieuré de Sainte-Foy, établi dans cette ville par les moines de Conques en 1094. Cette provenance est attestée par les lignes suivantes, qui se lisent au verso de la couverture: Iste liber est monasterii sancte Fidis in Seleztat, Argentinensis dyocesis. Qui ipsum furetur, nunquam per eam sibi requies detur.

/XXVI/ D’autre part, on trouve dans le même volume une liste, datée de 1296, des livres faisant partie de la bibliothèque de l’église Sainte-Foy à Sletztat. Parmi ces livres est mentionné le recueil des Miracles de sainte Foy1.

Il est plus difficile de déterminer son lieu d’origine.

Nous ne croyons devoir conclure de la formule nostra Gallia2, dans le cas où la copie aurait été faite à Schlestadt, qu’une preuve du soin apporté par le scribe à copier exactement le texte qu’il avait sous les yeux. Mais nous ne saurions oublier ici les relations qui unissaient le prieuré de Schlestadt au monastère de Conques. L’abbaye rouergate devait faire participer sa fille d’Alsace à ses faveurs temporelles et spirituelles, et lui donner tout ce qui pouvait entretenir chez elle le culte de leur commune patronne. De là à inférer qu’elle a pu lui envoyer, pour l’édification des religieux, un recueil contenant le récit des prodiges de la sainte, il n’y a qu’un pas, qu’il ne serait peut-être pas téméraire de franchir. Nous pourrions d’ailleurs nous croire autorisé à cette conclusion par ce fait que certains mots grecs, qui se retrouvent dans les deux manuscrits de Schlestadt et de Conques, y sont accompagnés de la même glose, destinée à les expliquer à des lecteurs incapables de les comprendre3.

/XXVII/ Ainsi, à défaut de preuves certaines, toutes les présomptions semblent se réunir en faveur de l’origine conquoise du manuscrit que nous publions.

Malgré les remaniements introduits par le moine anonvine, il subsiste encore, entre les récits recueillis par Bernard et ceux qu’il a ajoutés à ces derniers, des dillérences notables et caractéristiques. Le style des deux premiers livres est plus vif et plus alerte, et ce n’est que dans les deux derniers que se rencontrent quelques expressions grecques.

Les deux écrivains ont-ils vu de la même façon? Il est permis d’en douter. L’écolâtre, tombé au milieu d’un monde nouveau pour lui, est émerveillé de ce qu’on lui raconte et de ce qu’il voit. Ce qui le frappe, c’est la magnificence du culte rendu à la sainte, c’est la vénération dont sa statue est l’objet, c’est l’empressement des pèlerins, la profusion des cierges qui se consument, l’éclat et le nombre des présents, la richesse et la beauté des joyaux que possède le trésor, le soin jaloux avec lequel sainte Foy affirme ses exigences et punit ceux qui lui résistent ou lui font outrage. Il décrit avec complaisance l’église et ses diverses parties, la merveilleuse statue d’or1, les /XXVIII/ guérisons qu’on lui a racontées. Il est venu jusqu’à trois fois pour contrôler la vérité de ce qu’il a entendu avec surprise, et il ne veut rien écrire qu’il n’ait soumis à une enquête minutieuse et sévère.

Le moine inconnu, lui, est de la maison, et rien de la maison ne l’étonné plus. Il lui suffît d’ouvrir les yeux pour voir arriver ceux qui viennent rendre grâces, et les oreilles pour entendre et recueillir leurs récits. Les merveilles qui s’accomplissent chaque jour sont si nombreuses, qu’il ne peut les raconter toutes1. Force lui est de choisir dans le nombre, et, lorsqu’il mettra la dernière main au livre qu’il nous a laissé, il ne le fermera pas sans avoir la velléité de l’augmenter encore2.

Ce qu’il raconte, ce ne sont plus seulement ces miracles faciles et parfois entourés de circonstances plaisantes que le vulgaire appelait les Jeux de sainte Foy, mais des délivrances ardues de prisonniers, des guérisons éclatantes, voire même trois résurrections de morts. Et toutes ces merveilles, sauf quelques exceptions, ce n’est pas par ouï-dire qu’il les a apprises. Ou bien il en a été le témoin3, ou bien il a vu ceux qui en ont été favorisés, lorsqu’ils ont apporté le témoignage de leur gratitude.

Nous aurions voulu trouver dans son œuvre des /XXIX/ renseignements qui eussent constitué, par leur réunion, une sorte de biographie de l’écrivain, mais il a été si bien absorbé par ce qu’il voyait ou entendait, qu’il n’a jamais parlé de lui-même. Depuis longtemps était mort Gerbert – beatae memoriae1 – qui semble avoir partagé avec Bégon II, de 996 à 1004, le gouvernement de l’abbaye; depuis longtemps étaient tombés dans l’oubli des faits contemporains de la construction de l’église2; voilà tout ce que nous transmet le moine en dehors des miracles qu’il a pu apprendre ou constater. Nous sommes donc absolument dépourvus de renseignements sur son propre compte.

Aucun chroniqueur ne nous fait connaître l’histoire des provinces du Midi de la France et leur état social durant le haut moyen-âge. Les nombreuses chartes qui nous ont été conservées de cette région, si importantes qu’elles soient, sont impuissantes cependant à combler cette lacune. Aussi, à ce point de vue spécial, les renseignements fournis par l’écolâtre d’Angers et par son continuateur sont-ils d’une haute valeur, et leur intérêt ne saurait être révoqué en doute. Les personnages mis en scène ont, pour le plus grand nombre, vécu dans le Rouergue, le Quercy, l’Auvergne ou le Languedoc; c’est dans ces provinces ou dans leur voisinage que se passent la plupart des faits racontés. Les mœurs souvent brutales des seigneurs, l’oppression des faibles et des petits par les grands et les puissants, mille détails de mœurs et de coutumes, /XXX/ mille renseignements sur les institutions et les usages de la vie privée et de la vie sociale, tout cela passe sous nos yeux à mesure que nous lisons le Livre des Miracles de sainte Foy. Nous y voyons aussi quelle diffusion prodigieuse avait pris le culte de cette martyre, et quelle confiance en son pouvoir surnaturel poussait vers sou tombeau la foule des pèlerins avides de ses faveurs.

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[Note a p. XXVI]

1. Anno Domini millesimo ccmo nonagesimo sexto, fratre Mirone in prepositum ecclesie sancte Fidis in Sletztadt ordinato, libri subscripti in communi armario fuerunt reconditi, videlicet: ... [18] Miracula sancte Fidis ... – Cf. J. Gény, Geschichte der Stadtbibliothek zu Schlettstadt, – Schlettstadt, 1889, in-8º. Torna al testo ↑

2. p. 98. Torna al testo ↑

3. Cf. Lib. IV, passim. Torna al testo ↑

[Nota a p. XXVII]

1. Cette statue existe encore; elle est conservée dans le trésor de Conques, aujourd’hui encore un des plus riches de France en pièces de premier ordre. La sainte est représentée assise dans un fauteuil orné; elle a la tête légèrement renversée en arrière, et couverte d’une magnifique couronne décorée d’émaux et de pierreries. De larges yeux en émail donnent à la physionomie un caractère étrange et au regard une singulière fixité. Les mains, refaites à une époque très postérieure, tiennent chacune une sorte de petit tube dans lequel devait se placer une fleur ou une palme. Des plaques d’or recouvrent entièrement l’âme en bois, ornées elles-mêmes d’une profusion d’émaux, de cabochons, d’intailles, de bijoux de toute sorte et de toute époque, qui donnent à l’ensemble une valeur artistique et une richesse /XXVIII/ incomparables. (Cf. A. Darcel, Trésor de l’église de Conques, 1861, in-4º, p. 45. – E. Molinier, L’émaillerie, 1891, in-12, p. 79. – E. Rupin, L’œuvre de Limoges, 1890, in-4º, p. 63. – A. Bouillet, L’église et le trésor de Conques, 1892, in-12, p. 50.)Torna al testo ↑

[Note a p. XXVIII]

1. L. III. Prolog. – L. IV, c. vii, ix. Torna al testo ↑

2. L. IV. Epilog. Torna al testo ↑

3. L. III, c. viii, xv. Torna al testo ↑

[Note a p. XXIX]

1. L. III, c. xiv. Torna al testo ↑

2. L. IV, c. xxiv. Torna al testo ↑